Deux manières s'offraient à moi pour traiter le sujet de ce soir. La première, la méthode classique, consistait à compulser les quelques ouvrages existant dans nos bibliothèques sur la matière et à en reproduire les principaux traits devant vous en y mettant de l'unité et de la cohésion. Cette méthode quoique demandant moins d'efforts, je l'ai écartée parce qu'elle m'a paru trop rigide.
J'ai opté pour la seconde qui m'a semblé plus animée et plus vivante. C'est celle qui consiste à appuyer la documentation historique, quand cela est possible, sur une vision effective des choses et des gens, de sentir en quelque sorte l'âme de notre histoire dans notre ville.
C'est ainsi, par exemple, que pour l'époque gréco-romaine, je ne me suis pas contenté de consulter la volumineuse bibliographie qui s'y rapporte, j'ai été à différentes reprises au Musée Gréco-Romain, je me suis attardé sur les pierres parlant de notre passé, j'ai visité le Sérapéum, sanctuaire d'autrefois des divinités païennes, je me suis promené dans ce qui était le quartier Delta, notre ancien et principal lieu de résidence à Alexandrie, j'ai foulé du pied le sol d'où l'on a retiré et où doivent se trouver encore des trésors archéologiques de l'époque, je me suis entretenu avec des personnalités marquantes du monde scientifique de notre ville tel M. Alan Rowe, Conservateur du Musée gréco-romain et M. Benoub effendi, Habashi, Inspecteur du dit Musée etc., et pour la période plus moderne, j'ai fait la tournée de nos plus anciennes synagogues, j'ai examiné leurs trésors bibliographiques et autres, j'ai visité le quartier israélite du Midan, j'ai fouillé dans les archives de notre Communauté où se trouve condensée notre histoire depuis près d'un siècle, j'ai interrogé de vieux coreligionnaires et de vieux rabbins etc.....
J'ai considéré qu'un juif alexandrin parlant à d'autres juifs alexandrins de leurs ancêtres ou de leur ascendance directe plus ou moins proche, se devait de se servir des puissants atouts qu'il a entre les mains et qui sont les documents pour ainsi dire vivants susceptibles de donner aux récits livresques un relief plus saisissant. C'est là l'esprit qui m'a guidé dans le .travail de recherches qui va vous être exposé. Un mot encore avant d'aborder mon sujet. D'aucuns trouveront qu'il y a des lacunes dans ce travail, d'autres que je me suis attardé sur certains faits secondaires. Je répondrai aux uns et aux autres qu'an sujet aussi monumental doit se traduire par une galerie de tableaux de maîtres et je n'ai pas l'envolée nécessaire. Pour ma part, j'ai essayé de brosser, en peu de matières, un modeste pastel d'un coin parfois des plus prestigieux de l'histoire du judaïsme universel.
Éminence, Mesdames, Messieurs,
Aucun historien ancien ou moderne qui s'est assigné la tâche de retracer l'histoire de la civilisation à travers les âges n'a pu manquer de souligner le rôle prodigieux joué autrefois par la Ville d'Alexandrie et ses habitants, la civilisation et l'art alexandrins, la Bibliothèque et le Musée d'Alexandrie, les Juifs d'Alexandrie, l'École Juive d'Alexandrie et le juif Philon d'Alexandrie. Les écrivains païens, chrétiens, juifs, grecs, latins ainsi que les inscriptions et les papyrus accompagnaient presque toujours le nom d'Alexandrie d'épithètes laudatives : la grande, la très grande, la riche, la très noble, la très heureuse, la splendide, la ville par excellence, la ville qui possède tout ce que l'on désire etc..... Un savant commentateur du Coran, blakrizi, pense que Dieu a voulu désigner Alexandrie lorsque dans le livre sacré, il parle d'une ville qui n'a pas sa pareille dans1'univers. D'autre part, aucune ville au monde n'a retenu comme celle-ci l'attention des trois plus grands génies militaires de tous les temps : Alexandre qui l'a fondée, César qui l'a défendue, Napoléon qui l'a conquise. Qui sait si les générations futures n'ajouteront pas qu'elle a été protégée par un quatrième génie militaire, Montgomery, et qu'elle a eu l'insigne honneur d'avoir été la première ville dans cette guerre à voir se briser presque dans ses environs immédiats, les vagues sanguinaires, tumultueuses et irrésistibles jusque là des hordes hitlériennes. C'est dans cette cité illustre que vécut au sein de la brillante culture hellénique, aux temps des Ptolémées et des Romains, une population juive estimée à un demi-million, suivant le célèbre historien de l'antiquité Flavius Josèphe, à 300000, suivant d'autres sources, mais qui a formé certainement l'une des plus illustres Communautés Juives à travers les siècles.
D'où venaient ces Juifs ? Où et comment vivaient-ils ? Quel était leur régime politique ? Quelle était leur activité ? Quels furent leurs rapports avec leurs souverains ? Quelle trace ont-ils laissé dans cette cité si célèbre?
Lorsqu'en 332 avant l'ère chrétienne, Alexandre le Grand, maître d'un immense royaume allant de l'Italie jusqu'en Judée entra en Égypte dans tout l'éclat d'une jeune gloire, il fonda la ville qui devait immortaliser son nom, près d'une misérable bourgade de pécheurs et de bergers nommée Rhakotis, au sud-ouest de notre Alexandrie, près de Kom el Chogafa. Les historiens rapportent que dès la fondation de la ville, les Juifs s'y étaient établis soit qu'il en eût amené avec lui de Judée, soit qu'ils y soient venus des autres parties du pays, car il en existait en Égypte bien avant la fondation d'Alexandrie. Nous savons qu'au cinquième siècle avant l'ère chrétienne, un roi de Perse, maître de l'Égypte, avait employé des mercenaires juifs contre les Éthiopiens. Nous savons aussi, qu'après la destruction de Jérusalem, des Juifs en assez grand nombre avaient cherché refuge en Égypte, malgré l'opposition du prophète Jérémie. Nous savons surtout par la découverte des papyrus anciens d'Éléphantine (Assouan) qu'il existait des Juifs dans cette ville avec leur Temple.
La fondation d'Alexandrie attira plusieurs d'entre eux et pour les maintenir et engager d'autres à les rejoindre, Alexandre le Grand et ses successeurs les proclamèrent citoyens au même titre que les macédoniens et leur appliquèrent un régime extrêmement libéral. Et vous n'y croirez peut-être pas, ils leur permirent d'être justiciables, dans certains cas, des lois mosaïques, c'était en d'autres termes, l'application des statuts personnels qui font couler tant d'encre depuis 25 ans dans les Communautés d'Égypte. Un papyrus de 226 avant l'ère chrétienne a trait à un procès entre le Juif Dorothéos et une grecque Héracléa, procès où à côté des lois générales furent invoqués aussi, des préceptes mosaïques. Les Ptolémées considéraient, que dans cette ville cosmopolite comme elle l'est encore aujourd'hui, à la diversité des coutumes juridiques devait nécessairement répondre une complexité de l'organisation judiciaire et ils s'y plièrent volontiers. Le chef suprême de la Communauté juive avait le titre d'ethnarque. Il était en même temps l'administrateur et le grand juge de la Communauté. Il était assisté dans ses fonctions par un sénat ou sanhédrin (gérusia synedrion) de soixante-dix membres.
Essayons maintenant d'esquisser la vit économique, culturelle et sociale de cette Communauté.
Il nous intéresse, tout d'abord, en tant qu'Alexandrins de connaître où habitait une population juive aussi dense.
Les historiens s'accordent à dire que si les Juifs habitaient alors un peu partout dans cette ville et que leurs synagogues s'élevaient de toutes parts, ils sont unanimes aussi à préciser que leur principal lieu de résidence était le quartier Delta qui doit être situé, suivant Breccia, entre les Cimetières juifs de Chatby, les parcs Nord et Mazarita. Ce nom de Delta lai vient de ce qu'il désigne la 4ème lettre de l'alphabet grec, le grand ingénieur Dinocrate, chargé par Alexandre de faire le plan de la ville ayant divisé celle-ci en cinq quartiers du nom des cinq premières lettres de l'alphabet grec, alpha, beta, gamma, delta et epsilon. Le quartier Delta touchait presque la mer, je dirai presque le port, car le Port Est de nos jours où l'on ne voit de temps à autre qu'une barque que surmonte une voile blanche pourrions rappeler que ce n'est pas un mirage, était le grand port appelé autrefois Portus Magnus et c'est là que mouillaient les flottes de guerre et les flottes marchandes. L'autre port, c'est à dire le grand port actuel qu'on appelait Eunostos (bon retour) constituait une petite rade presque abandonnée. Les Juifs au voisinage presque de la mer exerçaient entre autres les professions de navigateurs, de collecteurs d'impôts et de douane. Mais leur principale activité était le commerce et l'industrie.
En quoi consistait, il y a 2000 ans leur commerce et celui des autres éléments du pays ? Tout comme de nos jours, le transit, l'exportation et l'importation. Je commence à dessein par le transit car il tenait une place de premier plan dans l'activité commerciale de la ville. Les articles en transit venaient soit de l'intérieur de l'Afrique tel l'ivoire, l'ébène, les plumes d'autruche, les peaux tachetées des anfiqaqx etc..... soit de l'Arabie, riche en plantes odoriférantes soit aussi de la côte de Somalie, de Ceylan, des Indes etc..... Les marchandises d'Afrique étaient débarquées dans le port intérieur du lac Maréotis ou le lac Mariot de nos jours et transportées soit par canal soit par voie de terre jusqu'au port. Pour celles qui venaient des Indes et de Ceylan, elles étaient débarquées dans le port de Bérénice sur la Mer Rouge, transportées par bêtes de somme jusqu'à Coptos sur le Nil et de là par canaux jusqu'à Alexandrie où les marchands de tous les pays attendaient leur arrivée.
Il existait et l'histoire nous signale beaucoup d'armateurs et de navigateurs juifs, de véritables flottes fluviales pour l'intérieur, flottes méditerranéennes, flottes de l'Erythrée éc... Toutes les marchandises qu'elles apportaient des pays lointains et mystérieux étaient distribuées partout, à Rome, en Grèce, dans les îles de la Mer Egée et jusqu'en Hongrie, à l'état de matières premières ou manufacturées par son industrie car l'activité industrielle était aussi très développée. C'était en premier lieu la fabrication du papier, le papyrus, puis les huileries, les tanneries, les briqueteries, le tissage, la verrerie, la cristallerie, la fabrication des tapis, l'orfèvrerie, l'argenterie, la bronzerie etc..... Vous verrez tout à l'heure l'énumération des différentes corporations juives d'Alexandrie citée dans le Talmud. Pour ce qui concerne, en particulier les tissus, nos manufacturiers apprendraient, sans doute, avec un certain intérêt que les chroniqueurs parlent de 14 espèces de tissus qui étaient fabriquées à Alexandrie, depuis la grossière étoffe de couverture de cheval jusqu'aux tapis artistiquement brodés en couleur et depuis l'étoffe de laine blanche jusqu'aux pièces de soie teinte ou fantaisie. Il m'a été donné de voir au Musée gréco-romain des spécimens de ces tissus qui n'ont pas beaucoup à envier aux produits de la Filature ou de Mehalla, comme coloris et comme fini et cela malgré les injures des siècles. Les Juifs alexandrins excellaient tellement dans certains travaux que l'on avait souvent recours à eux de Palestine pour les travaux du Temple.
L'exportation des céréales était en honneur et Graetz nous rapporte qu'une partie du blé que Rome tirait de l'Égypte était chargée sur des navires juifs et amené sur les marchés par des Juifs.
Quant à l'importation, quoique restreinte, elle n'était pas négligeable. C'était des denrées, des médicaments provenant notamment des îles de la Mer Egée, surtout de Rhodes. Au lieu de barils, ou de caisses, les marchandises arrivaient dans des amphores qui portaient le nom des lieux d'expédition. Le bois était importé de Syrie, les métaux, des déserts environnants. L'or dont il était fait grand usage venait du désert érythréen.
Et pour ne pas laisser nos banquiers en reste, j'ajouterai qu'Alexandrie était le Siège d'une Banque Centrale pour le royaume entier et que les banques dans les chefs-lieux de province et les autres villes les plus importantes, étaient fort nombreuses.
Les économistes modernes nous disent, d'autre part, que pour qu'une situation économique soit saine, il ne doit pas y avoir de chômage. Je dirai à cet effet que non seulement le chômage n'existait pas dans la cité, mais suivant Tacite, même les aveugles et les infirmes trouvaient du travail.
Voilà, somme toute, une bien brillante situation économique, comme on dit de nos jours.
J'arrive et j'avais hâte d'arriver à la partie culturelle (culte et culture). Les Juifs sont d'abord le peuple du Livre.
Du point de vue religieux, nous avons dit plus haut que les synagogues. en. dehors du quartier Delta, s'élevaient un peu partout dans le reste de la ville. C'était plus que des maisons de prière comme on les appelait en grec, c'était des centres spirituels avant tout, où s'exprimait aussi la pleine vie d'une collectivité de fidèles. Elles comportaient souvent des portiques c'est à dire de grandes galeries voûtées et des jardins. Une inscription trouvée à Athribe en Basse-Egypte, nous dit que le juif Hermias, sa femme Phùotéra et leurs enfants ont doté la synagogue d'une exèdre, une espèce de portique arrondi où Juifs et Juives d'Athribe pouvaient venir prier, causer religion ou affaires ou, plus simplement goûter la fraîcheur. Ce n'étaient donc pas des lieu de culte exclusivement, le culte parfait, étant semble-t-il, d'après les principes de la loi, réservé au seul Temple de Jérusalem. Il semble, d'autre part, suivant une inscription trouvée en Basse Égypte, que les souverains accordaient aux synagogues certains privilèges comme celui, par exemple, que les livres de droit appellent, droit d'asile.
Quant à la grande synagogue qui existait à cette époque, j'ai pensé qu'il y aurait quelque monotonie à vous en entretenir, plusieurs d'entre vous en ayant entendu parler. Mais je considère qu'on ne peut éviter de la mentionner s'agissant d'un édifice, véritable chef-d'oeuvre d'architecture. En voici la description dans le style savoureux du Talmud et j'attire notamment votre attention sur les professions qui y sont énumérées et l'hospitalité toute orientale poussée à l'extrême :
"Et les enfants d'Israël arrivèrent dans Alexandrie" d'Égypte et s'y établirent. Et ils y construisirent une synagogue telle que jamais on n'en vit de pareille depuis le jour" qu'Israël est ailé en exil. Et cette construction était très" vaste et pouvait contenir des milliers de personnes. Et l'on" y installa des bancs )lignés dans tops les sens. Et les fils" d'Israël établis à Alexandrie se multiplièrent et prospérèrent. Et ils firent fabriquer 71 trônes en or et les placèrent" dans la synagogue. Et ces 71 trônes furent occupés par les" sanhédrines, les juges du peuple. Et au @qilieq était une" estrade en bois sur laquelle se tenait une personne spéciale" remuant un grand drapeau avec ses mains. Et quand le" hazzan priait, le peuple qui était à l'autre bout de la salle" ne pouvait l'entendre et ne savait quand répondre Amen.
" Alors il regardait vers le drapeau que tenait le shamash et" lorsqu'il le voyait se déployer, il savait que c'était le moment de répondre Amen. Voici, dans quel ordre était assis" le public dans la synagogue Les orfèvres à part; les forgerons à part; les graveurs à part; les argentiers à part; les" tisseurs à part. Et lorsqu'il arrivait de dehors un artùan" juif à Alexandrie, il allait à la synagogue et il cherchait le" coté où se trouvaient les gens de sa profession et il s'asseyait" parmi eux. Et quand la prière était terminée, on s'empressait de l'inviter. On le nourrissait et on l'hébergeait avec sa" femme et ses enfants".
On confond souvent cette grande synagogue qui se trouvait à Alexandrie Avec le Temple, réplique du Temple de Jérusalem, construit à Heliopolis près de Memphis. Nous en parions à propos d'Alexandrie parce que l'instigateur Onias 4j fils de Onias 3, grand pontife, pontife lui-même résidait à Alexandrie. C'est d'ici que, profitant de son rang d'ethnarque, sorte de chef de la Communauté Juive, cumulé avec d'autres hautes fonctions, qu'il a réussi à obtenir de son souverain lequel le tenait en grande estime, le district d'Héliopolis, l'Héliopolis de l'antiquité, pour élever un Temple en remplacement de celui de Jérusalem qu'il croyait profané.
Pour obtenir l'assentiment de ses coreligionnaires dont quelques uns redoutaient la profanation, Qnias invoqua une prophétie d'Isole.
"Un jour viendra où l'Éternel aura un autel dans la terre de "Misraim." Ce temple fut inauguré en 154 av. l'ère chrétienne. Des services solennels y furent célébrés, des prêtres et des lévites qui avaient fui les persécutions de Judée accomplissaient les sacrifice et la liturgie, des vases sacrés rappelaient ceux du Temple dl Jérusalem.
Quant à la culture et aux études, il est aisé de comprendre< avec quel amour, quelle passion, quelle ivresse, les Juifs s'y son abandonnés. Ils s'assimilèrent vite la mélodieuse langue grecque et se plongèrent dans l'érudition et sa littérature au point d'oublier parfois leur propre langue. Ils devinrent les lecteurs assidus et les admirateurs de tous les poètes tragiques, de tous les philosophe et comprenaient Homère et, Platon aussi facilement et mieux peut être que les Prophètes, ou le Cantique des Cantiques. Leur niveau scientifique et philosophique était tellement élevé qu'ils furent admis au Musée d'Alexandrie. Ce Musée n'a pas le sens qu'il a aujourd'hui, où moyennant une piastre, chacun de nous peut avoir accès Le Musée d'Alexandrie d'autrefois était un ou plutôt un ensemble d'établissements attenant aux palais royaux, genre d'Académie renfermant une promenade, une exèdre et une grande salle dam laquelle a lieu le repas en commun des savants qui y sont attachés Ces savants étaient groupés en confréries distinctes suivant la nature de leurs occupations, recevaient du trésor royal un traitement qui, ajouté aux revenus du fond commun, leur assurait le vivre et leur permettait (l'enseignement n'était pas une condition obligatoire) de consacrer leur activité tout entière aux études et au> recherches personnelles, à l'abri de soucis matériels, entouré< d'une atmosphère d'intellectualité et d'érudition". La fameuse bibliothèque de 700 000 volumes était à leur disposition. Philon était membre du Musée en tant que philosophe, comme aussi deux autres juifs aux 'noms hellénisés : Adamantios et Domno qui y enseignaient la médecine. Parmi les grecs, c'étaient Erastothène qui le premier, mesura le méridien terrestre, Théocrite le célèbre poète bucolique, Archimède que tous nos collégiens connaissent et surtout le fameux Euclide, l'inventeur de la géométrie plane, l'ordonnateur et le maître des démonstrations rigoureuses.
D'autres Juifs ont gagné une renommée considérable tel Aristobule précepteur de Ptolémée Philométor, le poète Ezechiel etc. D'autres Juifs encore enrichirent la Bible d'un grand nombre d'écrits nouveaux tels des additions aux livres d'Ezra. de Daniel d'Esther. Des écrits entièrement nouveaux virent le jour : le Livre de Barouch, le livre de la Sagesse de Salomon etc..... Les Juifs comptaient aussi des historiens aux noms hellénisés: Démetriu; qui écrivit une Histoire des rois de Judée, Artapan, Aristéa Cléodème et surtout l'illustre Flavius Josèphe qui laissa son fameux ouvrage sur "les Antiquités judaïques", véritable monument historique, source inépuisable de tous les historiens du monde qui cherchent une documentation sur l'Antiquité, en général.
Pour ce qui est de l'emplacement .du Musée, je ne m'occupe pas ce soir de topographie générale. Mais je m'en voudrais de ne pas rapporter que, d'après Breccia, l'Ancien conservateur du Musée Gréco-Romain, nous devons le chercher entre la rue Nabi Daniel, la rue &IissalJa et la rue de l'ancien Hôpital grec et il n'exclut pas qu'il ait pu être sur te terr4in de la Communauté Israélite qu'il mentionne spécialement dans son livre bien connu "Alexandrea ad Aegyptum", c'est à dire peut-être là où nous sommes réunis en ce moment ou à une petite distance.
La célébrité d'Alexandrie fat telle que de même qu'aujourd'hui en parlant d'un docteur qu d'un étudiant nous disons et nous affichons un tel de .l'Université de Cambridge, que tel autre d'Oxford ou de la Faculté de Montpellier ou de la Faculté de Lausanne, autrefois on ajoutait un tel d'Alexandrie et il récoltait tous les honneurs. Et malgré mon désir d'411er vite, puis-je passer sous silence le grand événement de l'époque : la Version de Septante ou la traduction de la Bible en langue grecque? Rassurez - vous, je ne vous citerai pas toutes les légendes, toute la littérature auxquelles cette traduction a donné lieu. Plusieurs d'entre vous, sans doute, connaissent tout cela. Je m'en tiendrai à vous rapporter les jugements émis là-dessus par deux grands historiens français du ième siècle :
Renan et Boqché-Leclerq. Renan écrivait à propos de cette oeuvre :
"Le Christianisme est la conquête du monde par le génie hébreu en langue grecque" et l'autre affirme que la "Communauté Juive" d'Alexandrie a pris dans l'histoire des religions une place éminente et elle a exercé sur les destinées de .l'humanité une influence dont les effets sont encore présents. " Telle fut l'opinion de ces deux éminents historiens. J'ajouterai qu'avant la fondation d'Alexandrie, l'Orient et l'Occident étaient deux mondes entièrement fermés l'un à l'autre. Après la fondation des Ptolémées et suivant les chroniqueurs grâce surtout aux Juifs, les deux mondes se sont rencontrés et réciproquement pénétrés. Les Juifs ont apporté et mis dans le courant. de la grande circulation des vues nouvelles pour les peuples occidentaux sur la religion, la philosophie et l'histoire. Ils n'écrivirent et ne pensèrent plus seulement pour eux-mêmes mais pour ce monde cosmopolite dont Alexandrie était devenue plus ou moins la capitale intellectuelle. Signalons en passant que la prédication dans les synagogues alexandrines en langue grecque avait pris un grand essor comme aussi la vie inonastique et des anachorètes a pris naissance dans les milieux juifs de l'ancienne Alexandrie.
Quant au domaine militaire, oyez plutôt. L'ethnarque Onias et un autre immigré juif Dosithée furent tous deux commandants suprêmes des armées ptolémaïques. Divers documents nous montrent des Juifs établis comme vétérans ou descendants de vétérans, sur les terres du Fayoum. Une épigraphe nous apprend que le Juif Ptolémais d'Athribe (Basse-Egypte) en sa qualité de chef de la police égyptienne, dédia une synagogue à son souverain. D'autre part, 30 000 soldats juifs sous les Ptolémées furent répartis, dans les différentes garnisons du pays. Cléopâtre confia également le commandement de ses armées à Helkias et Ananias, fils de Onias.
Voilà un tableau aussi succinct que possible de la vie politique, économique et culturelle des premières communautés juives d'Alexandrie. Leur existence qui fut généralement bien belle que la souveraineté de princes éclairés et sages ne resta malheureusement pas sans nuages. Leur culte spécial, leur situation ne furent pas sans engendrer la jalousie et la haine. Ce furent d'Abord certains éléments de la population païenne et malgré l'attitude des Ptolémées et plus tard de César, de Claude etc. qui s'efforcèrent en général, de s'interposer entre les différentes parties de la population de .la capitale, Rhakotis principal centre païen, et le mita, principal centre juif, furent toujours en état plus ou moins d'hostilité.
C'était peut-être une rivalité économique. C'était certainement et surtout une rivalité religieuse.
J'ai visité le Sérapeum, près de la Colonne Pompée, ce fameux sanctuaire du paganisme, le temple dédié au cuite de Sérapis, ce dieu qui manifesta que si extraordinaire vitalité à l'époque. Qu'est-ce qu'on y voit? Des caves que serpentent des lézards alors que les divinités ont pris le chemin du Musée. Des fouilles viennent de mettre à jour des plaquettes en or; on, y découvrira sans doute encore d'autres richesses, mais Israël ne voulait pas de tout cela.
Et en face du paganisme qui lui semblait puéril avec ses manifestations frivoles et son néant moral, il dressait fièrement sa discipline de vie sans vanité et sans grâce mais saine et forte, soutenu par un livre prodigieux, par une croyance pure et simple, par sa conviction dans l'enseignement de ses prophètes qui est de proclamer et de vouloir faire triompher la foi en un Dieu' unique de justice et de bonté. Voilà ce qu'il opposait et ce qui l'opposait à Sérapis, Isis, Zeus et à ses détracteurs. Un jour, c'est Flaccus qui exige que les images impériales figurent dans les synagogues et à la suite du refus, des émeutes éclatent. Un autre jour, c'est Trajan, c'est Caligula, c'est Cyrille etc..... Cette situation tragique n'est pas unique dans notre histoire mais elle fut certainement une des plus dramatiques par le contraste qu'elle offrait avec la vie glorieuse dont elle tenait la place.
Et maintenant quelle trace, quels vestiges en dehors de sa brillante littérature et de ses écrits savants dont Philon fut incontestablement comme le phare lumineux, quel témoignage vivant, est-il resté ici de cette illustre Communauté d'autrefois ?
Le Musée Gréco-Romain compte 22 salles comprenant des statues, des plaques, des momies, des sarcophages, d'épigraphes, de stèles funéraires, de bas-reliefs, de vases, d'urnes, de lampes, de poteries etc..... Voici une statue découverte à la rue Fouad, autrefois voie Canopique, principale artère d'Alexandrie d'autrefois comme d'aujourd'hui, voici un bas-relief découvert à Gabbiri, une niche à 3iafrouza, encore des statues découvertes rue Fouad et rue Chérif, une tête d'enfant en marbre à Mazarita. Qu'y. a-t-il du quartier Delta ? Qu'y a-t-il de juif? Presque rien. La raison en est-elle que. la Thora nous défend les images, les statues ou les ornementations ou que rien ne pouvait comme dans certains cas, pour la poterie, pour les lampes ou les vases indiquer la provenance? Toujours est-il que dans ces 22 vastes salles, il n'existe (le service compétent du Musée me l'a confirmé) que deux pièces se rapportant à notre histoire de 7 siècles d'existence gréco-romaine.
La première se trouve dans la salle 6 et porte le numéro II comme numéro d'inscription. Il s'agit d'une dalle en calcaire provenant de Shédia près de Kafr el Dawar. Les Juifs résidant dans cette ville ont consacré une synagogue pour la santé du roi Ptolèmée III et de sa femme Bérénice (246 av. .l'ère chrétienne). Cette synagogue est déjà appelée du nom si fréquent aux époques antérieures de maisons de prières (prosaïque).
Le second objet se trouve dans la s411e 21, vitrine D. Il s'agit d'une inscription peinte en couleur rouge, écrite en caractères araméèns. Cette inscription fixe incontestablement la chronologie de notre Communauté. Elle a été recueillie dans la nécropole de l'Ibrahimieh.
Cette nécropole juive de l'Ibrahimieh a fait l'objet au Caire d'une fort intéressante communication scientifique par Néroutzos bey, Membre de l'Institut archéologique du Caire à ses collègues.
Il vaut bien la peine que j'en dise deux mots :
Les sépultures juives à Alexandrie, leur a-t-il dit, sont creusées dans le roc et contiennent de petites fioles la plupart en verre et des lampes en terre cuite. Elles portent comme ornement la Ménorah ou Chandelier à 7 branches, un cep de vigne avec des raisins ou une ou deux branches de palme et quelquefois un palmier entier. Mais les objets, dit-il, les plus intéressants qui se trouvent dans les sépultures souterraines des Juifs de l'ancienne Alexandrie sont les ossuaires ou petits coffrets rectangulaires munis de couvercles. Ces coffrets dont un spécimen a été déposé par lui à l'Institut égyptien du Caire, ces coffrets ou cassettes faites en pierre calcaire étaient placés dans de petites niches creusées à cet effet dans lés parois ou déposés par terre dans quelque coin de la ch4mbre. Ils contenaient les ossements des cadavres qui, lorsqu'ils étaient réduits à l'état de squelette dans leur couchette, étaient recueillis au bout de quelque temps pour faire place aux nouveaux morts de la famille à laquelle appartenait la sépulture.
' Je reconnais m'être trop étendu sur la période gréco-romaine.
Mais s'agissant d'une des pages les plus glorieuses de notre histoire malgré les troubles et les exactions de la dernière période, l'on ne peut s'arracher de plein gré à la documentation dont ou dispose et je dois plutôt m'excuser auprès de mes auditeurs que la question intéresse particulièrement, de devoir m'en tenir là. J'ai à parcourir encore 13 siècles de l'histoire du Judaïsme alexandrin et j'ai déjà grignoté largement sur le temps que je me suis fixé.
Ce n'est pas la population juive seule qui a souffert des exactions de la période gréco-romaine, c'est la ville tout entière, la riche, la noble, comme il en fut plus tard de l'Espagne de Ferdinand et d'Isabelle ou de bien d'autres cas de nos jours. La célèbre cité chaque jour rétrogradait et s'appauvrissait. En 619, un roi de Perse s'en empara et ses soldats démolirent et incendièrent de splendides édifices. Dix ans plus tard la ville changea de conquérants, ce ne fut guère mieux et c'est avec enthousiasme qu'en 641, la population alexandrine reçut l'armée du calife Omar, sous le commandement du général Omar Ibn el Ass. La ville gardait encore malgré toutes les destructions des traces de sa magnificence.
Dans un célèbre message que le général adressa au calife, nous lisons : "J'ai conquis la ville de .l'occident. Elle est d'une immense étendue. Je ne puis te dire combien elle renferme de merveilles.
" Il s'y trouve 4 000 palais autant de bains publics, 400 théâtres" et 4 000 juifs payant l'impôt, 1.200 jardins. " On suppose que la population juive était de 40 000, le message parlant de 4 000 payant l'impôt et l'historien Jacob Mann, dans son ouvrage "The Jews under the Caliphs" confirme le chiffre de 40 000. Parmi les troupes qui entrèrent en Égypte avec l'armée de Omar, il se trouvait, suivant une communication de S.Em. Nahum effendi, une tribu juive de 400 guerriers les Beni Roubi. D'autre part, suivant l'historien Jean de Nikiou, Omar a stipulé entre autres conditions avec les vaincus que les Juifs d'Alexandrie pourraient exercer toutes leurs libertés.
Les Ommiades, les Abassides et les Fatimides qui se succédèrent firent preuve de bienveillance vis à vis des Juifs. Mais Alexandrie avait perdu beaucoup de son importance, la capitale des califes s'étant fixée à Fostat (Vieux Caire).
La Communauté Juive d'Alexandrie, au 12me siècle, quoique ne jouissant pas d'une grande prospérité eut une charge curieuse assez spéciale ou, comme on dit aujourd'hui, non prévue au budget. Quelle était cette charge? Les ports égyptiens ét4ient souvent visités par des pirates sarrasins qui transportaient dans leurs voiliers, des captifs. Lorsque ces pirates arrivaient dans les ports égyptiens et princip41ement à Alexandrie, ils offraient à la Communauté Juive de lui vendre des marchands juifs, des voyageurs juifs et des savants juifs, capturés en haute mer. Les Juifs d'Alexandrie sentaient naturellement, le besoin de les libérer. Nous apprenons par un grand nombre de documents trouvés dans la guénizah du Caire et reproduits dans le livre de Jacob biann dont nous avons parlé ci-dessus, que le prix de chaque captif variait entre 30 et 35 dinars, soit de L.E. 18 à 25 de nos jours. Tout comme aujourd'hui pour le soulagement des m41heureux réfugiés, plusieurs mécènes se sont distingués par le grand nombre de captifs qu'ils libérèrent par des donations personnelles. Parmi ces généreux donateurs, l'histoire a retenu le nom de Nathaniel ben Eliezer Hacohen d'Alexandrie et David ben Isaac Halévy du Caire.
Vers 1140 débarqua à Alexandrie, non comme captif heureusement car toute la fortune des Juifs d'Alexandrie n'aurait pas suffi pour le libérer si les pirates connaissaient la valeur de l'homme en question, mais comme voyageur régulier, le plus grand poète juif de tous les temps, Juda Halévy, célèbre même parmi les arabes sous le nom de Aboul Hassan. Sur l'invitation pressante du grand-Rabbin de l'époque à Alexandrie, Aaron Bension Ibn Alaman, auteur lui-même d'hymnes liturgiques, il fut retenu trois mois à Alexandrie où il goûta une large hospitalité. Quelques années plus tard cet autre géant du Judaïsme qui brilla d'un éclat incomparable dans l'histoire des Juifs d'Égypte et dans l'histoire juive tout court a été aussi de passage à Alexandrie. Nous voulons parler de Maïmonide qui vint de Fez et s'installa à Fostat (Vieux Caire) en 1166. Benjamin de Tudéle raconte sans son ouvrage "Voyage de Benjamin" qu'il n'a trouvé à Alexandrie lors de son passage en 1177 que 3,000 juifs.
Nous arrivons au régna des Mameluks, ces milliers de Tcherkesses et de Ciracassiens achetés par les califes sur le marché d'Asie pour faire des soldats et des gardes. Ils finirent par asservir le pays sous leur joug. Leur règne fut généralement néfaste aussi bien pour les chrétiens que pour les Juifs, à l'exception du Sultan Nasri Mohamed qui régna pendant plus de 40 ans .et sous la souveraineté duquel les Juifs vécurent des jours heureux. C'est sous son règne ou plus précisément en 1381 que fut construit le Temple Zaradel restauré il y a une cinquantaine d'années par les soins de notre Communauté. La date de sa fondation nous est fournie par un document que vous pouvez tous voir à l'entrée du vestibule du Temple. C'est une pierre gravée dont on ne peut déchiffrer toute l'inscription. Elle est datée de 1311 de la destruction du premier Temple, c'est-à-dire de 1_181 de l'ère chrétienne. Voici la traduction du texte de cette inscription faite en langue hébraïque :
" Moi, Yéhouda, fib de R. Saul Séphar, fils de Isaac. de" ,,vénérée mémoire, j'ai acheté, j'ai construit... pour le pardon," de mon âme et l'âme de mes parents en l'année 1311 (1381)" de la destruction du Temple.
" Ces colonnes et ces <hanibniles étaient à la porte du" Tabernacle de l'ancien Temple.
Et saisi de crainte, il ajouta " Que ce lieu est redoutable.
" Ceci n'est autre que la maison du Seigneur et ceci est à la" porte des cieux. (Génèse XXVIII-17). Que Dieu veille sur" cette entrée et sur cette porte en souvenir... " Il y a dans ce texte certaines bizarreries troublantes. De quel ancien Temple s'Agit-il? Est-ce le Temple de Salomon? C'est bien peu probable. Deux autres hypothèses se présentent soit la Grande Synagogue d'Alexandrie dont nous avons parlé ci-haut qui a pu garder des vestiges soit simplement un ancien Temple existant au même endroit. Voilà un intéressant problème posé aux historiens.
En parlant du Temple Zaradel cela nous amène à nous demander si le Temple Eliahou Hannabi est antérieur ou postérieur au Temple Zaradel.
Nous le verrons tout à l'heure par le récit d'un voyageur qui en I48I soit 100 ans après la construction du Temple Zaradel passait par Alexandrie. Son récit est intéressant à plus d'un titre.
Le nom du voyageur c'est Messulam Voltera de Florence qui retrace un tableau pittoresque de la vie telle qu'elle était à Alexandrie lors de son passage dans cette ville. Il décrit en détail notre port où son bateau faillit sombrer, il nous parle de la taxe qu'il a dû payer, de la ville en ruines, de la viande, de la volaille etc.... C'est un reportage fort pittoresque qu'aurait volontiers signé un grand reporter moderne. Pour ce qui est. de ses coreligionnaires juifs, ce qui nous intéresse aujourd'hui, il écrit :
" Les Juifs à Alexandrie ont à peu près les mêmes moeurs" que leurs concitoyens musulmans. Ils n'ont ni lit, ni table," ni chaise, ni lampe. Ils mangent, boivent et dorment comme eux. On trouve à Alexandrie plus de 6o familles juives.
" Aucune d'elle n'appartient à la secte caraïte ou samaritaine," toutes sont rabbanites. Ils entrent pied-nus à la Synagogue.
" D'aucuns parmi eux m'ont dit qu'il fut un moment où la" population juive était de 4.oco familles. Il existe à Alexandrie deux synagogues, une grande et une petite. La petite," dit-on, (je dis bien la petite) a été bâtie par le Prophète" Eliahou et on trouve encore près du Tabernacle une chaise" et une lampe toujours allumée. C'est dans ce Temple, m'a-t-on dit, que Eliahou faisait sa prière. Le service de cette" Synagogue est assuré par deux bedeaux, Rabbi Youssef " bar Baroukh et rabbi Halifa qui, volontairement, se sont" consacrés à cette charge sacrée.
" J'ai vu, ajoute-t-il, au Temple Eliahou Hannabi, une" bible écrite sur parchemin. Les pages divisées en 4 colonnes" sont admirablement écrites de la main d'Ezra Hassofer" qui a apposé sa signature sur ce beau manuscrit. Il frappe" de malédiction la personne qui retirerait de cette place ce " dépôt sacré. J'ai vu aussi dans ce même temple d'autres" manuscrits d'Ezra Hassofer. " Et voilà. Je ne sais si la personne qui a retiré le beau manuscrit d'Ezra Hassofer a été frappée de malédiction, mais ce que je sais c'est que la Bible admirablement écrite sur parchemin ainsi que les autres manuscrits de l'ancêtre de tous les scribes, Ezra Hassofer, manuscrits que Voltera déclare avoir vus et bien vus n'existent plus. Nous les retrouverons peut-être un jour dans un Musée d'Europe ou d'Amérique à moins que des bibliophiles que je suppose naturellement à l'étranger, ne s'en soient emparés. Ceci nous amène à nous demander ce qu'est devenu notre patrimoine archéologique, en d'autres termes les guénizots sur lesquels les Communautés d'Europe veillent si jalousement. J'ai demandé in jour à Prague à voir les curiosités juives anciennes. On m'a montré une vieille petite synagogue, un très vieux cimetière et une guenizah disposée en un petit musée.
Mais je me hâte à travers les siècles.
L'exode des Juifs d'Espagne en 1492 a valu relativement peu d'immigrés à l'Égypte, et à Alexandrie presque dépeuplée moins encore qu'au Caire.
En 1517 commença la domination Ottomane avec la conquête de l'Égypte par Sélim 1er, domination qui se termina pratiquement avec l'avènement de la glorieuse dynastie de Mohamed-Aly et le noyau de notre Communauté actuelle. Ce qu'a été pendant trois siècles .l'existence de la population juive d'Alexandrie, ce fut celle de tous les Juifs de l'empire Ottoman, de Syrie et d'Irak, de l'Asie Mineure comme de l'Arabie, un régime doux, bienveillant, je n'aime pas beaucoup le mot tolérant, et quoique assez brillant parfois comme sous le règne de Soliman le Magnifique, le régime fut un régime de torpeur sans aucun essor économique, et sauf 1 Constantinople, Salonique et Smyrne et un peu le Caire sans aucune envolée de pensée, l'orthodoxie dégénérant en formalisme, le talmudisme en argutie et le mysticisme en superstition. Quant aux moyens d'existence ici comme dans le reste de l'Empire Ottoman le bien-être pour quelques rares privilégiés et la misère pour l'immense majorité. Un voyageur de passage à Alexandrie à l'époque écrivait : " qu'on ne voyait sur le marché que des dattes et du pain.
" Dans les rues s'amoncelaient les ordures et les décombres. Le" glapissement des chacals et le cri des hiboux troublait le sommeil de la nuit et sur les remparts abandonnés on ne trouvait pas" 4 canons qui fussent en état de servir. La ville se mourait de" consomption et de misère. " En dépit de cette misérable situation à tous les points de vue, des coreligionnaires de Rosette et d'Edkou qui n'étaient pas mieux chez eux se transférèrent à Alexandrie. C'étaient pour la plupart des pêcheurs qui venaient chercher un nouveau champ d'exploitation. Ils élevèrent des tentes le long des rivages, ils construisirent ensuite des chaumières, puis des maisons. C'est près de Souk el Samak el Kadim que j'ai été visiter et où sans doute, beaucoup plus atténuée qu'autrefois, la misère continue néanmoins à s'étaler, malgré les très louables efforts de la Communauté qui fait ce qu'elle peut, tout ce qu'elle peut, ainsi que nos Sociétés de Bienfaisance.
A Londres il y a White Chapel, à New-York Brooklyn, à Paris, la rue des Rosiers, quelle communauté juive n'a pas ses miséreux ?
A Alexandrie nous avons Souk el Samak el Kadim et ses dépendances Hoch el Gaan, Hoch el Nagar, Hoch el Hanafi. Il existe depuis plus de 250 ans. Les immeubles branlants qui tiennent par un prodige d'équilibre semblent n'avoir pas changé tellement ils sont vétustes ? C'est cette misère grouillante qui quitte ses repaires tous les jours vers la Société de Bienfaisance ou la cuisine populaire et qui traîne ses savates défoncées à la rue el Tatwig le jour de Roch Hodesh. Tableau réellement vivant du paupérisme juif auquel les gens qui n'ont pas beaucoup de sympathie pour nous ne croient pas ! Ce qu'il y a de réconfortant c'est que l'Amélé Thora et surtout nos écoles sont là pour sauver l'enfance.
La courte domination française qui a duré 3 ans de 1798 à 1801 a laissé dans le pays une influence marquée dans le domaine scientifique notamment à partir de la seconde moitié du 19ème siècle. La langue française enseignée dans nos écoles depuis plusieurs générations et qui reste encore le véhicule normal de notre pensée et de nos rapports avec les colonies étrangères qui nous entourent est un des résultats moraux de cette occupation.
J'ai sous la main un document de Bonaparte et quoiqu'il se réfère aux Juifs du Caire, je vous en donnerai communication, car il s'agit d'un document inédit et je ne sais même pas si les Juifs du Caire qui prennent de l'intérêt aux choses historiques en ont eu connaissance.
C'est un ordre du quartier général de Bonaparte :
Quartier général au Caire 21 Fructidor An VI Date correspondante 7 Septembre 1798
BONAPARTE, Général en Chef, ordonne :
ARTICLE 1er.-
Sabbato Adda et Telebi Di Figura sont nommés Grands Prêtres de la Nation Juive.
ARTICLE 2.-
Ils seront assistés dans les grandes affaires qui regardent la Communauté, de sept Conseillers dont les noms suivent: David Darcon - Elias Frances - Joseph Gozlan - Elias d'Eham D'Eham el Attar - Mordokai Foua - Ephraim Adda.
ARTICLE 3.Les deux Grands Prêtres et les Conseillers seront responsables de la mauvaise conduite et des désordres que pourraient commettre les Juifs.
Enfin ce fut l'aurore des temps nouveaux. Un second grand macédonien, un digne successeur du grand Alexandre, Mohamed Aly, fondateur de la dynastie régnante parut et dès son avènenement, il conçut l'idée de faire renaître à une prospérité nouvelle la ville fondée par son illustre prédécesseur. Son génie et sa courageuse initiative y réussirent. Le curage dit canal Mahmoudieh d'abord comme aussi les travaux entrepris dans le grand port actuel, ne tardèrent pas à rappeler une grande partie du commerce qui avait rendu cette ville ;1 célèbre dans l'antiquité. La population européenne juive et mn juive profita de la généreuse hospitalité accordée. Des Juifs de l'intérieur du pays, d'autres de l'étranger, de l'Autriche et de l'Italie, de la Turquie et du Maroc, de la Syrie et de la Grèce venaient rejoindre la collectivité juive existante à travers les siècles. La mort fut chassée par la vie.
Alexandrie vit sa population bondir de 5 à 6,oco en 1805, à 12,ooo en 1818, à 25.ooo en 1825, à 6o.ooo en 1880, à 620.roc en 1927 et à 770,ooo en 1937. On parle aujourd'hui du million. La population, Juive suivit aussi un rythme ascendant mais comparativement plus modéré. De quelques centaines en 1805, elle s'est élevée à 5o,ooo en 1890, 24. 50c en 1937. Tout allait à une allure vertigineuse dans le développement de la ville et les Juifs autochtones comme les immigrés de l'intérieur et de l'étranger devaient y contribuer largement dans la suite par leur activité, leur technique, leur esprit d'initiative et cela dans tous les domaines, commerce, industrie, enseignement, médecine, agriculture, barreau, finance, journalisme etc..... Ils mirent en commun avec tous les autres éléments du pays toute leur intelligence, leur savoir, leurs ressources et un jour, cette collectivité travailleuse et disciplinée, juifs d'Autriche et du Maroc, juifs autochtones et des environs, gagnés par [PS idées occidentales de ce 19ieme siècle qui fut, par excellence, lin siècle d'assistance sociale, de philanthropie, d'aide mutuelle et de charité qui vit se fonder des oeuvres d'envergure, le Rotary Club, l'ordre des Béné Berith, la Y.M.C.A., l'Alliance Israélite Universelle, les Juifs d'Alexandrie, dis-je, sentirent le besoin d'organiser ensemble judicieusement et rationnellement le beau patrimoine moral, plusieurs fois millénaire, sous la tutelle d'une dynastie qui donnait de multiples preuves de bienveillance à leur égard. La tâche lût facilitée par le tari que des natures d'élite s'y sont attelées : Les Aienasce et les Aghion qui ont attaché leur nomma des oeuvres impérissables dont je parlerai tout à l'heure puis, les Ismalum, les Tilche, les Rolo, les Nahman, les Tuby, les Gohar, les Picciotto, les Sachs, les Salama etc.., et dont les traditions de générosité et d'altruisme se sont transmises à leurs descendants dont nous retrouvons quelques uns dans notre Conseil.
En 1802 fut créée la première Communauté moderne et faute d'archives, nous ne savons presque rien de cette Communauté embryonnaire. Nous avons, par contre, plusieurs détails, par une seconde organisation communale, en 1840. A cette époque, le grand Rabbin jouissait de deux pouvoirs: temporel et spirituel.
Il fut alors décidé de délimiter les pouvoirs, et que assemblée de notables comprenant les familles Ismalun, Suarès, Tilche, Barda, Piha, Sachs, Salama, Mirés, Rolnano, Caspi etc..... créa la situation communale qui continue à nous régir aujourd'hui. Toutefois c'est en 1854 que fut convoquée une grande assemblée de notables et le premier conseil général fut élu composé de :
Isacheto Loria, Moché Valensin Barker, Michel Adelenger,
N. ivolheim, I. Morpurgo, Moise Nahman, Ruben Abousnagh, Léon Pereira, Menahem Suarez. Je les cite non par vaine gloriole de documentation mais parce que je considère que leurs noms doivent survivre en leur qualité de premiers bâtisseurs de notre édifice communal.
Quant au champ d'activité, le premier souci fut la création d'une école. Le local était à Souk el Sérafié, une rue transversale de la rue de France, là où habitaient en grande partie nos coreligionnaires de toutes les classes. Il y eut d'Abord deux écoles : l'une payante et l'autre gratuite qui finirent par fusionner. Le nombre d'élèves était d'une quarantaine et le budget, de L.E. 420 par an.
budget scolaire rien que pour les écoles gratuites est de 13 000 livres. Les réunions du Conseil étaient fréquentes à l'époque puisque tout était à organiser. Les procès verbaux ressemblaient assez souvent à ceux de nos jours : Exemple : En 1853, 54, 55, 56, 57, etc. etc. le Conseil avait des démêlés avec les bouchers pour la viande cacher et c'étaient des mesures cet des contre-mesures tout comme aujourd'hui. Un jour le Conseil diminue la gabelle pour que les bouchers viennent à l'encontre du public, une autre fois il la supprime tout à fait pour y revenir modérément etc., etc. Serait-ce un éternel problème dans les Comrnun4utés 'd'Orient? A cette époque à côté de la viande cacher il y avait d'autres produits dont il fallait surveiller le cacherout : il s'agit du vin et du fromage et ce soin depuis longtemps est laissé aux parficoliérs. On s'est beaucoup occupé, dans les séances, de la gestion des cimetières et ce n'est qu'en 1856 que le Cimetière No. I, celui de Mazarita a été entouré d'un mur de clôture. L'autorisation gouvernementale a été signifiée à la Communauté Israélite par le canal du Consul d'Autriche qui était chargé des intérêts de 14 Communauté. Les frais de clôture ont été converti par souscription, Ce cimetière était utilisé bien longtemps avant qu'on ne l'ait délimité puisqu'il y existe des pierres funéraires datées de 1832, c'est à dire 24 ans avant la construction de la clôture. Nous avons appris, d'autre part, par les procès-verbaux que des discussions très animées se sont déroulées pendant des séances entières pour établir si les inhumations peuvent être retardées jusqu'à 24 heures.
On a été même jusqu'à décider d'écrire à Paris et à Trieste pour être fixé. Pour la arikha, il y avait en 1854, 426 arikbistes payant un total de L.E. 530. Aujourd'hui nous avons 2.5Io arikhistes payant L.E. 3.56o. La arikha allait de 120c p.c, à 20 p.c. Les droits d'inhumation étaient payés sur base de la arikha. Le conseil de l'époque avait décidé de prendre à l'égard des récalcitrants de la arikha des sanctions et si les moyens de persuasion ne réussissaient pas d'employer la force légale. On ne nous dit malheureusement pas quelle force légale, car cela aurait intéressé énormément notre Chancellerie. En août 1855 fut fêtée l'arrivée de Sir Moses Montefiore. Il s'était rendu en Égypte pour la fameuse affaire de Damas. A son retour d'un petit voyage en Palestine, la Communauté a organisé une brillante Cérémonie au, Temple Eliahou Hannabi. "musique, Choeurs, hymnes, discours rien n'a manqué pour fêter dignement ce vieillard qui, comblé d'honneurs par sa reine, n'a pas hésité, à faire un long et fatigant voyage à .l'âge de 71 ans pour prendre la défense de ses frères victimes d'une flagrante injustice. En 1856, le Conseil décide de vendre le Iqazza an comptant, en 1858 etc. etc..... On pourrait continuer à l'infini, à parler à bâtons rompus, à faire de la petite histoire, à relever des menus détails pittoresques ou de grands faits historiques de cette Communauté telle la question du terrain Chatby de 10 000 m.c.
dont on a cherché à nous frustrer et que notre Communauté a fini par récupérer, telle l'affaire Bravet qui fait entourer un jour d'une enceinte la parcelle sise au nord du Temple Eliahou Hannabi, là où se trouve aujourd'hui le terrain sportif de l'école et qui en vint aux mains avec Isacchetto Loria chargé de représenter la Communauté. Un autre jour c'est le service Technique de la ville qui voulait s'approprier d'une partie du terrain du Temple Eliahou Hannabi du côté de la rue Nébi Daniel par décision du service de l'arpentage. Une autre fois, c'est le Patriarcat Copte qui se prétendit propriétaire dudit terrain. Dans tout cela la Communauté est restée unique propriétaire, mais que de procès, que de démarches ! Nous avons eu aussi notre affaire de meurtre rituel, l'affaire Fornaraki, le 18 Mai 1881 où 34 docteurs ont été désignés par tous les Consuls étrangers d'Alexandrie en vue d'une expertise médico-légale et où nous avons eu gain de cause. Ce sont les dons innombrables de nos mécènes. Que sais-je? On pourrait continuer pendant dés heures entières. C'est tout cela, ce sont ces réunions, ces discussions, ces élans de générosité, ce travail laborieux et tenace qui ont fini par engendrer notre bel édifice commuI1al, ces belles institutions, fruit de l'activité, de sacrifices, de dévouement, du dynamisme de trois à quatre générations successives.
Il me reste à peine le temps de passer rapidement en revue nos Institutions-mères, leur création et leur développement.
D'abord nos écoles :
Il n'est pas osé de prétendre que tant qu'il y eut des Juifs à Alexandrie et il y en eut d'une façon continue malgré les fluctuations désordonnées du chiffre, l'étude n'a cessé d'exister parmi les Juifs. Depuis, la plus haute antiquité lorsque Philon fréquentait le Musée jusqu'à nos écoles primaires et secondaires d'aujourd'hui en passant par les rudimentaires kouttabs où des rabbins enseignaient à ânonner la perasha sans la comprendre, l'étude n'a jamais cessé d'être en honneur.
En 1840, lors du passage de Crémieux qui était venu en Égypte avec Montefiore pour la fameuse affaire de Damas, l'éminent avocat français écrivait à un de ses amis : " Je m' informait en Égypte de la façon dont on élevait les enfants. Aux garçons" l'on apprenait à lire l'hébreu, à le chanter et je ne vis point" d'école de filles. Un certain nombre de jeunes filles appartenant '" à des familles riches étaient confiées à une femme qui les surveillait sans 1es instruire. Ces jeunes filles passaient la plus grande" partie de la journée dans une grande salle, posées sur des coussins," sur un vaste tapis. Elles s'y étendaient quand elles étaient fatiguées d'être assises. Jugez de ce que ces jeunes filles ainsi" élevées devaient être dans leurs maisons quand elles devenaient" épouses .et mères. " Naturellement Crémieux chercha à y remédier et, à la suite d'un appel en arabe et en hébreu adressé par le savant orientaliste Salomon Munk qui l'accompagnait, dans son voyage et de ZZ. Valensin notable de la Communauté, des écoles de garçons et de filles furent ouvertes aussi bien à Alexandrie qu'au Caire. On les a appelées écoles Crémieux. Malheureusement, ces écoles fermèrent quelque temps après, tant ici qu'au Caire, et l'histoire né nous dit pas si c'est pour des raisons budgétaires ou autres.
Ce fut le retour au Talmoud Torah rudimentaire pour les familles pauvres et pour les familles aisées et riches, loi écoles congréganistes où l'enseignement était plus soigné et le niveau plus élevé, mais souvent au détriment du judaïsme alexandrin.
En 1865, ZZ. Behor & Isaac Aghion constituèrent en propriétés inaliénables un certain nombre de maisons, dont le revenu était destiné aux oeuvres scolaires. Ceci, ajouté à d'autres legs et donations de leur descendance, a permis de créer l'embryon de nos écoles communales appelées jusqu'aujourd'hui couramment Écoles Aghion quoique depuis longtemps elles soient sous la tutelle et l'administration de la Communauté qui, par la réalisation successive des terrains de Chatby, a permis la construction du palais scolaire actuel. Son inauguration en 1907 fut d'une telle importance que dans son dernier ouvrage, édité à l'occasion de son cinquantenaire, le grand journal alexandrin "La Réforme" a jugé digne d'intérêt de reproduire le compte-rendu de .ce mémorable événement. Aujourd'hui ce sont 1308 élèves qui fréquentent les écoles communales avec 70 professeurs dont 28 d'arabe dans 38 classes.
En 1918, sur l'initiative du Comité Scolaire une grande souscription fut ouverte qui permit la constitution d'un capital inaliénable en faveur de nos écoles. L'Amélé Thora seconde admirablement nos oeuvres scolaires gratuites par la fourniture de la nourriture et de l'habillement aux élèves nécessiteux c'est à dire à toute cette population scolaire.
I' École Menasce a été inaugurée en 1885 et il faut dire à l'honneur de la famille qui l'a fondée que bien qu'elle lui ait assuré des rentes suffisantes pour un fonctionnement permanent, elle continue à s'intéresser intensément à cette institution, ne reculant devant aucun nouveau sacrifice pour son développement.
A côté de l'école Menasce, deux autres établissements dispensent l'enseignement secondaire dont le Lycée de l'Union Juive' créé en 19?5 dans les graves circonstances que tout le monde connaît et le Midrash Rambam dont on attend de belles réalisations.
Les écoles de l'Alliance Israélite ouvrirent en 1897 et fermèrent en 1919 soit après 22 ans d'existence et l'accomplissement de leur tâche de relèvement. Notre Communauté en a pris la suite et les a fusionnées avec ses propres écoles.
Quant à notre hôpital, c'est l'Institution dont on parle le plus dans les milieux juifs de notre ville. Est-ce parce qu'il constitue la principale activité de notre Communauté puisque sur un budget Communal en 1944 de L.E. 79.ooo, l'Hôpital figure pour 40.ooo soit plus de la moitié?
Cette Institution a commencé bien modestement en 1872 sur l'initiative des deux frères Misrahi qui se sont adjoints d'autres notables. On loua une modeste maisonnette à la rue de France et on l'aménagea pour recevoir cinq malades. Quelques mois plus tard, sur la demande de la Municipalité qui craignait une propagation de maladies infectieuses dans le quartier, l'hôpital fut transféré à Ras el Tine puis bientôt à Moharem Bey. Là il prit mi certain développement et en 1885, la famille Aienasce se conformant aux volontés testamentaires du Baron Béhor de Menasce qui venait de décéder, affecta une parcelle de terrain de sa propriété à la construction d'un immeuble à l'usage d'hôpital. C'est l'établissement que nous avons connu à Moharrem Bey et qui a été offert ultérieurement par la famille Menasce comme don à la Communauté. La nouvelle bâtisse de la route d'Aboukir date de 1932.
Les premières dépenses de L.E. 70 000 furent fournies par la Communauté mais vu les services éminents rendus par le défunt baron, l'hôpital garda son nom tel qu'on le voit sur le frontispice.
La Communauté a souvent fait appel au public pour subvenir aux frais sans cesse grandissants et en dépit des moments difficiles traversés, l'hôpital dresse fièrement sa fine silhouette dans une des plus belles artères de notre ville. Il comprend aujourd'hui 150 lits, a hospitalisé en 1944, 2716 malades et compte 24 médecins dont quelques sommités et 42 infirmières. Il est fréquenté aussi bien par les Juifs que par les non-juifs et j'ajouterai que le Comité a toujours de grands projets en dépit des difficultés qu'il trouve presque en permanence sur son chemin.
Pour ce qui est des cimetières, j'ai parlé plus haut du Cimetière N° I de Mazarita, d'abord terrain vague puis entouré de mur de clôture. Le cimetière N° 2 a son origine qui me fait rappeler sans risque de passer sur un des chapitres les plus intéressants de notre histoire communale. Voici les faits qui expliquent par là même l'existence du Cimetière N° 2 et d'autres établissements.
En 1871, le baron Yacoub de Menasce était venu du Caire s'établir à Alexandrie. Je me dois d'ouvrir ici que parenthèse à l'adresse de cette noble famille. Voici; selon un chroniqueur, l'opinion du Khédive Ismail, un des plus illustres représentants de la dynastie régnante, sur le baron Yacoub de Menascé. En Juin 1873, S.A, le Khédive Ismaîl avait été appelé à Constantinople pouf des intérêts politiques. S.Em. Rabbi Moché Hallévy, Grand-Rabbin de Turquie, lui rendit visite. .Le fait le plus sifflant de la conversation, ce furent les remerciements qu'adressa Rabbi Moché au Khédive au sujet du bien-être dont jouissaient les juifs en Égypte. Le Khédive répondit "Soyez sans inquiétude sur le sort de vos frères d'Égypte. D'ailleurs Yacoub eff. Menasce ici présent s'est acquis toute ma sympathie par les bienfaits nombreux qu'il prodigue aux Juifs de mon pays avec une extraordinaire modestie".
En 1871 donc, le baron Yacoub de Ménasce était venu du Caire s'établir à Alexandrie. Les contribuables à cette époque demandaient vainement au Conseil compte de sa gestion. N'ayant rien à se reprocher, le Conseil par amour-propre refusait de donner suite à leur requête. Les démarches amicales du Baron n'ayant pas abouti, que seconde Communauté fut créée, la première relevant du Consulat d'Autriche, la seconde des Autorités locales. Le Temple et l'école Menasce furent créés et comme l'ancienne Communauté avait refusé l'inhumation aux morts de la seconde, celle ci demanda et obtint du gouvernement égyptien une parcelle de terrain. Ce fut le Cimetière Menasce où se trouve d'ailleurs le caveau de cette famille et plus tard on lui donna le nom de Cimetière N° 2. En 1878 (le schisme avait duré sept ans) après une longue série de démarches, les deux Communautés fusionnèrent et en formèrent une seule avec les personnalités des deux Présidents: Béhor de Menasce et Behor Aghion, puis devant l'irrégularité des deux compétences locale et autrichienne, une seule subsista sous la protection autrichienne, sous l'unique présidence de Béhor Aghion.
Le cimetière N° 3 a commencé à être utilisé en 1908. Depuis de nombreuses années, la Commission des cimetières avait cherché à acheter un nouveau terrain sans arriver à une entente avec les autorités quant à son emplacement. Un volumineux dossier est là qui donne beaucoup de soucis à M. Edmin Goar, Président de la Commission des Cimetières.
Dans le domaine des Temples, l'origine du Temple Eliahou Hannabi se perd dans la nuit des temps. Nous savons seulement par la relation du voyage de Volterà citée plus haut que le Temple existait déjà en l'aimée 1354 soit 27 ans avant la construction du Temple Zaradel. Certains écrits rapportent que Napoléon fit bombarder ce temple sous prétexte qu'il constituait in obstacle au tir éventuel de ses canons entre le fort de Kom el Dick et la mer mais en réalité ce serait à la suite du non-paiement d'une somme de 50,ooo talaris imposée à la Communauté qui n'était pas en mesure de la payer. Nous n'avons pu trouver mention de cet événement dans les ouvrages les plus détaillés sur la période Napoléonienne et le souci historique nous oblige donc à nous abstenir pour le moment de continuer le fait.
Quant aux essais de reconstruction de ce Temple vers 1836, ils n'ont pas abouti faute de moyens. Ce n'est qu'en 1850, grâce aux encour4gements et à l'aide de Sir Moses Montefiore que le Temple fut reconstruit. Ce n'était pas encore l'édifice tel que nous le voyons aujourd'hui. En 1856 la Communauté fit construire lés deux nefs et les galeries pour dames. En 1935, ce fut la vaste véranda qui y donne accès. Ce beau Temple Eliahou Hannabi, que nous nous sommes habitués à voir dans toute sa splendeur étincelant de lumière à giorno dans les grandes fêtes, les grandes cérémonies et les grands mariages rehaussé parfois par une profusion de fleurs blanches et de plantes vertes ainsi qu'une liturgie supérieurement dirigée, c'est le fruit de plusieurs générations dont celle de nos conseillers actuels qui continuent à veiller étroitement à son perfectionnement.
Quant au Temple Zaradel, nous avons parlé de ses titres d'ancienneté. Nous avons suggéré que l'ancienne pierre historique fût transférée à l'intérieur du Temple pour être à l'abri des intempéries et nous croyons que cette suggestion va être prise en considération.
J'ai déjà touché un mot du Temple Menasce. Ce Temple qui avec celui de Green et celui de Castro ont souffert des derniers bombardements a été restauré grâce à la munificence de 14 famille qui l'a érigé alors que les deux autres attendent les libéralités du public. Le Temple Green exigerait 3 mille livres et celui de Castro un millier. Ces chiffres s'entendaient avant le 2 Novembre.
Depuis lors...
Le Temple Green fut construit en 1901, le Temple Sasson en 1910, le Temple Castro en 1920. La même innée le Temple Ashkénaze Nezah Israël; en 1922 le Temple de Camp de César et en 1937 le Temple Eliahou Hazan grâce à la libéralité de M. Abramino Barcilon qui fit don du terrain. Un des plus vieux Temples est le Temple Azouz dont aucun document n'a pu nous fixer sur la date même approximative de sa construction.
Pour ce qui est des différents chefs religieux, l'histoire a gardé le nom de ceux qui se sont succédés depuis 1773 jusqu'à nos jours.
Pour les disp4rus, nous sommes tous familiarisés avec l'énumération nécrologique que débité tous les ans, le hazan, d'une voix profonde dans nos synagogues, la veille ou le jour de Kippour, devant un Kahal debout, grave et recueilli.
Voici le nom par ordre chronologique de nos chefs religieux depuis 1773 avec le Grand Rabbin Eliahou Israël jusqu'à notre éminent chef spirituel actuel :
Rabbin Eliahou Israël" Moshé Israël .
"Yédidia Israël" Salomon Hazan" Moshé Hazan" Nathan Amram" Moshé Pardo" Eliahou Hazan" Raphael della Pergola" Prof. David Prato" Dr. Noise Ventqra En dehors de leurs fonctions ordinaires ils remplirent ou remplissent dignement lent rôle éducatif d'une si haute valeur morale. Certains parmi eux jouissaient même d'une grande réputation à l'étranger tel le Rabbin Moché Hazan qui fut décoré par le sultan de Turquie, du 3iedjidieh et le Rabbin Eliahou Hazan à qui la Grande Encyclopédie Juive américaine répandue de par le monde, a fait appel pour la rédaction de nombreux articles d'érudition et de philosophie juives.
Il n'est pas sans intérêt de dire quelques mots des Kadmonims.
Ces vieilles reliques, ces manuscrits anciens gardés dans nos temples que l'on montre parfois aux am4teurs de curiosités juives anciennes et que l'on fait sortir une fois l'an à Simhat Tora avec les rouleaux de la loi. Ils sont religieusement conservés quelquefois dans des armoires spéciales et entourés de soie. Au Temple Eliahou Hannabi où j'ai été naïvement chercher la bible et les parchemins de Ezra Hassofer signalés par Voltera, j'ai trouvé un manuscrit sur parchemin allant du Prophète Jérémie jusqu'à Dibré Hayamim. Des feuilles du commencement et des feuilles de la fin de l'ouvrage sont manquantes. L'autre Kadmon est un manuscrit en caractère rastà de la Thora du commencement à la fin. Les feuilles sont passablement rongées par les @tes quoique l'ouvrage, soit enveloppé de soie.
Au Temple Zaradel, j'ai vu deux manuscrits fort anciens. Ce sont deux admirables kadmonims de la Bible en lettres assyriennes avec enluminures. Ici aussi, des soins spéciaux seraient nécessaires pour leur conservation.
Quant au Kadmon du Temple Castro que j'ai visité il y a quelques mois. en compagnie de Maître Tilche, il a une petite histoire que je ne vous raconterai pas ce soir, car elle a perdu tristement de son intérêt. Depuis le 2 Novembre dernier, le Kadmon n'existe plus.
J'ai vu, d'autre part, au Temple Castro et je ne sais si cela a pu être sauvé un reste de guénizah. .Pourquoi ne s'y intéresserait on pas ? Je ne suis pas très connaisseur en la matière, mais il m'a paru qu'il y existe quelques ouvrages et manuscrits dignes d'intérêt. Et dans les anciennes familles n'y a-t-il pas de vieux ouvrages ou de vieilles feuilles oubliées dans les armoires ou dans l'encan ? Pourquoi ne remet-on pas tout cela à une autorité juive quelconque qui en ferait un triage et d'ou sortiraient peut-être de belles découvertes. Voyez le souci de chaque peuple, de chaque pays, de chaque communauté d'établir, d'étudier, d'étaler, de répandre son histoire, les traces laissées par la vie, l'existence, le passage des générations. On trouve une stèle quelque paré au Thibet et voilà toutes les agences télégraphiques du monde en branle.
La Respectable Loge Eliahou Hannabi N" 681 fut fondée à Alexandrie en 1882 sur l'initiative de M. Zimmel, membre de la Grande-Loge du district VIII d'Allemagne. Son activité se manifesta brillamment, à un moment donné, dans les domaines communaux.
Un mot de la situation démographique de notre Communauté.
Dans les dernières statistiques gouvernementales de 1937, on relève à Alexandrie une population juive de 24 680 âmes dont 12 034 du sexe masculin et 12 656 du sexe féminin. Comme nationalité il y a 14 046 de nationalité égyptienne et 10 644 étrangère.
Suivant, d'autre part, les statistiques spéciales que nous nous sommes procurées il y a en moyenne 6oo naissances annuelles contre 740 décès. Notre Communauté compte aujourd'hui 78 000 âmes environ.
J'ai résumé très succinctement la création et le développement du beau patrimoine matériel et moral qui nous a été légué par nos prédécesseurs et que défend notre Conseil avec compétence, modestie, vigilance, dévouement, secondé par notre chef spirituel Son Éminence Docteur Moise Ventura et dans le domaine si délicat et si complexe de nos relations avec les autorités du pays, par Son Éminence Nahum eff. aussi aimé et considéré parmi nous qu'au Caire, entre autres pour ses brillantes qualités diplomatiques et culturelles. Notre Communauté est donc bien autre chose que ce que d'aucuns s'imaginent une institution à qui l'on est contraint d'avoir recours pour le mariage, l'inhumation ou pour l'obtention d'un état civil, institution routinière et tracassière qui exige de vous les deux témoins sans démordre et d'où l'on sort mécontent parce que l'on n'a pas pu marchander comme chez un vendeur de porcelaine.
Je relève, d'autre part, dans le giron de la Communauté le nota d'une trentaine d'institutions pour la plupart autonomes, prospères et fécondes créées par l'initiative privée et dont les dirigeants font également preuve de savoir-faire et de générosité. En voici la liste :
Plusieurs d'entre elles ont été fondées et sont supérieurement dirigées par des dames d'un dévouement sans borne mais dont la merveilleuse activité gagnerait à être coordonné par nos dirigeants communaux.
La plupart méritent d'être inscrites au Livre d'Or de notre Communauté et on m'excusera si je dois mentionner d'une façon particulière l'effort tenace déployé par nos 3 Clubs militaires, le Ménorah, le Jewish Club et l'Hatikvah qui furent dirigés par d'admirables dames dont j'ai eu l'occasion de suivre de très près l'activité qui se résume par l'accueil, le service et le divertissement dispensé à plus d'un millions de soldats de passage au cours des cinq années de guerre. Cet effort des Clubs militaires est une admirable réplique à notre Communauté d'il y a trente ans dont l'extraordinaire activité a permis d'hospitaliser, de soutenir, de relever les 11,277 réfugiés de Syrie et de Palestine qui avaient cherché asile à Alexandrie au début de la précédente guerre.
Notre Communauté, croyez-moi, n'a pas une réputation surfaite lorsqu'on la proclame une des plus brillantes et des mieux organisées du Proche-Orient et ce n'est peut-être pas par pur hasard que le seul organe juif en langue française du Moyen-Orient paraisse à Alexandrie.
Les autorités locales ont d'ailleurs toujours apprécié notre élément comme un élément d'ordre, de progrès, de solidarité et de discipline et c'est plus qu'une formalité protocolaire qu'elles remplissent lorsqu'elles rendent visite à nos représentants religieux et communaux au Temple Eliahou Hannabi, la veille de Kippour.
Et s'il faut une conclusion à cet aperçu, je dirai qu'à notre époque où chaque groupement ethnique se penche sur son passé pour en exhiber ses titres d'ancienneté et de gloire, il nous a paru nécessaire de produire aussi les nôtres.
J'ajouterai que notre Communauté n'a pas dit son dernier mot. Des projets du plus haut intérêt se trouvent dans les dossiers de la Chancellerie Communale et que l'on tentera de réaliser.
Notre digne et vénéré chef, M. Robert Rolo, veille jalousement pour le maintien de notre grandeur et de notre prestige et nous ne doutons pas que cette Communauté au passé si chargé de gloire, aujourd'hui sous l'égide d'un grand roi d'une grande dynastie, continuera à s'acheminer vers les plus hautes destinées.
(Nahar Misraim n° 14-15 mai 1984)