La Maison Stambouli
Histoire d'une Maison Juive ˆ Damas

Jacques Stambouli [1]

 Article paru dans lĠArche, mensuel du juda•sme franais, novembre 2007, nĦ 594, pp.70-77, avec 5 illustrations)

 

 

La maison Stambouli de Damas se perpŽtue dans les mŽmoires par les photographies prises par FŽlix Bonfils (1831-1885), le premier photographe franais ˆ installer un studio au Moyen-Orient, plus prŽcisŽment ˆ Beyrouth en 1867[2]. Les photographies de Bonfils ont ensuite ŽtŽ ŽditŽes sous forme de cartes postales ds la fin du XIXe sicle et circulent toujours chez les collectionneurs.

 

Comme dĠautres grandes maisons des familles aisŽes juives, b‰ties aux XVIIIe et aux XIXe sicles, la maison Stambouli est construite ˆ lĠintŽrieur des murs de la vieille ville de Damas, dans le quartier juif, au sud-est de la rue Droite. La vieille ville de Damas, dŽlimitŽe par ses murailles, est thŽoriquement protŽgŽe de toute dŽmolition ou reconstruction par un dŽcret de 1972 du gouvernement syrien. Et, en 1975, ˆ la demande de la direction des AntiquitŽs de Syrie, la citŽ intra-muros a ŽtŽ inscrite sur la liste du patrimoine mondial de lĠUNESCO[3].

 

1. Le patrimoine juif de Damas

 

La journaliste anglaise Brigid Keenan, qui a passŽ, ˆ partir de 1993, cinq ans et demi ˆ Damas avec son Žpoux diplomate, a pu faire, ˆ la fin des annŽes 1990, un Žtat des lieux des maisons juives de la Vieille Ville[4].

 

 

Beit Lisbona, qui date du XVIIIe sicle, Žtait en cours de restauration, ayant un nouveau propriŽtaire chrŽtien qui comptait en faire un h™tel. La maison comportait des portes en bois sculptŽes et dorŽes, des plafonds peints, des incrustations de nacre dans la pierre sculptŽe.

 

Beit Farhi, qui appartenait ˆ une des familles les plus riches de Damas au XIXe sicle, voit ses quatre cours intŽrieures Ç presque en ruine, lĠensemble ayant ŽtŽ divisŽ entre plusieurs locataires È.

 

Beit Dahdha reste particulirement belle avec des panneaux de bois peint et une jolie cour intŽrieure.

 

La maison de Joseph Anbar, qui date de la fin du XIXe, de style plus moderne et situŽe en dehors du quartier juif, confisquŽe en 1890 par les autoritŽs ottomanes puis transformŽe en Žcole, a ŽtŽ restaurŽe par le gouvernement syrien et affectŽe aux bureaux de la Commission pour la Vieille Ville en 1986.

 

Beit Tžta (ou Totah), prs de la rue Droite, juxtapose deux styles : dĠun c™tŽ de la cour un iwan (salle de rŽception en plein air) et des pices traditionnelles ; de lĠautre, des grandes fentres et des salles de rŽception ˆ lĠoccidentale.

 

La maison Stambouli, appelŽe aussi Beit Niyadu, appartient ˆ un cheikh chiite qui, para”t-il, lĠaime passionnŽment. Le jasmin y est toujours prŽsent de mme que la vigne et le bruit de la fontaine.  La dŽcoration de la fontaine et le dallage de la cour ont ŽtŽ remaniŽs, tandis que, comme sur les photographies de Bonfils, il y a plus de cent ans, les enfants jouent dans la courÉ

 

Au moment o nous Žcrivons (2007), il nĠest pas encore question de pouvoir visiter aisŽment le quartier juif de Damas, les plus belles maisons juives et les trois synagogues. La guerre toute proche en Irak, la persistance du conflit entre Isra‘l et ses voisins arabes ne favorisent pas le tourisme ˆ Damas, en particulier concernant des sites juifs.

 

Cependant, quand la paix reviendra, quand des relations normales sĠŽtabliront entre Juifs et Arabes, quand lĠamitiŽ et la culture lĠemporteront dans cette rŽgion sur la haine et lĠintolŽrance, ˆ nouveau, de nombreux visiteurs voudront conna”tre le riche patrimoine culturel de Damas. Et parmi ce patrimoine, le patrimoine juif et la maison Stambouli.

 

Alors, nous voudrions complŽter lĠinformation des futurs h™tes de la maison Stambouli par quelques sources historiques et familiales.

 

2. Les origines de la maison Stambouli

 

Un tŽmoignage ancien, datant de 1868, mais paru en 1993,[5] nous apporte de nombreuses prŽcisions sur les origines de la maison Stambouli et sur la vie de ses occupants ˆ cette Žpoque.

 

Au cours dĠun voyage en Egypte et au Moyen-Orient dĠun groupe de peintres orientalistes[6] ˆ lĠinitiative de Jean-LŽon GŽrome, le peintre nŽerlandais Willem de Famars Testas (1834 -1896) a tenu un journal de voyage en franais.

 

Le 3 mai 1868, sŽjournant ˆ Damas, le groupe des peintres fait Ç la visite aux Juifs influents de la ville (É). M. GŽrome avait une lettre circulaire de M. lĠavocat CrŽmieux de Paris pour les israŽlites dĠici. (É) En lĠabsence de M. GŽrome, cĠest Goupil, son gendre qui a remis la lettre. On lĠa reu comme un envoyŽ de prince, et peut-tre plus affablement encore. M. Stambouli, israŽlite opulent, nous a tous invitŽ pour d”ner demain È.

 

Cet excellent accueil dĠamis dĠAdolphe CrŽmieux, prŽsident ˆ lĠŽpoque de lĠAlliance israŽlite universelle, nĠaurait pas dž Žtonner les peintres orientalistes. Car, en 1840, CrŽmieux, alors dŽputŽ, avait dŽfendu avec Sir Moses Montefiore, plusieurs juifs de Damas accusŽs de Ç crime rituel È sur la personne dĠun supŽrieur du couvent des Capucins, le pre Thomas, et de son domestique[7].

 

LĠaccusation Žtait portŽe par le consul de France de lĠŽpoque, le comte de Ratti-Menton et par son ami, le gouverneur Žgyptien de la ville, ChŽrif Pacha. Comme par hasard, elle visait des notables juifs de la ville, ˆ partir de dŽnonciations de domestiques extorquŽes sous la torture. Et parmi eux une personne de la famille Stambouli, Aaron Stambouli[8].

 

Aaron Stambouli avait ŽtŽ accusŽ de participation au meurtre du domestique du pre Thomas. Il avait ŽtŽ emprisonnŽ et  condamnŽ ˆ mort par ChŽrif Pacha, avec neuf autres personnes[9]. CĠŽtait un nŽgociant prospre, avec un patrimoine estimŽ par le consul dĠAutriche entre 7500 et 10 000 talaris (un talari valait 5 francs de 1840)[10]. La famille Stambouli nĠest pas originaire dĠIstanbul, comme cela a ŽtŽ souvent Žcrit. Le pre dĠAaron, David LŽvy, avait dŽcidŽ de changer son nom en Stambouli, pour se distinguer des nombreux LŽvy de Damas et parce que la famille se rendait souvent ˆ Istanbul pour y rŽgler des affaires juridiques[11].

 

Cette Ç affaire de Damas È avait profondŽment marquŽ la communautŽ juive de lĠŽpoque. Les accusŽs avaient ŽtŽ soumis ˆ la torture. Tous, sauf un qui Žtait prt ˆ abjurer sa religion pour Žchapper ˆ de nouveaux tourments, avaient niŽ malgrŽ les douleurs. Quatre personnes Žtaient mortes sous la torture : deux accusŽs, le rabbin Joseph Harari, un vieillard de 80 ans et Joseph Liniado ; et deux tŽmoins ˆ dŽcharge, Jacob Turck, un des portiers du quartier juif et Joseph Jabo. 

 

Les responsables de la communautŽ de Damas avaient rŽsistŽ collectivement avec le soutien de leurs frres Žtrangers et obtenu gain de cause par la libŽration de tous les accusŽs[12].

 

Cette affaire combinait la perpŽtuation de prŽjugŽs antisŽmites les plus ŽculŽs et lĠarbitraire de fonctionnaires locaux avides et cruels. Elle contribua, en rŽaction, ˆ la naissance de lĠAlliance IsraŽlite Universelle ˆ Paris en 1860 pour Ç prter un appui efficace ˆ ceux qui souffrent pour leur qualitŽ dĠIsraŽlites È et Ç travailler partout ˆ lĠŽmancipation et aux progrs moraux des IsraŽlites È [13] . LĠAlliance chercha ˆ atteindre ces objectifs par des moyens diplomatiques et par lĠŽducation. Si la premire Žcole de lĠAlliance fut fondŽe ˆ TŽtouan en 1862, elle fut suivie ds 1864 par une Žcole ˆ Damas[14].

 

Aprs lĠaffaire de Damas, la situation des commerants de la communautŽ juive sĠamŽliora. Le commerce avec lĠEurope se dŽveloppa et les agents locaux reprŽsentant les sociŽtŽs Žtrangres sĠenrichirent. Ces agents se recrutaient parmi les chrŽtiens et les juifs, sujets protŽgŽs par les puissances Žtrangres[15]. En mme temps, lĠartisanat local traditionnel Žtait mis en difficultŽ. DiffŽrents notables accumulrent ˆ cette Žpoque des ressources financires importantes : ce fut probablement le cas de la famille Stambouli, ce qui explique la construction de la maison.

 

Le 4 mai 1868, la maison Stambouli Žtait presque terminŽe comme en tŽmoigne le journal de voyage de Willem de Famars Testas : Ç ˆ quatre heures, nous Žtions chez M. Stambouli o nous Žtions invitŽs ˆ d”ner. Sa maison est toute neuve : il lĠa fait b‰tir dans le style ancien et nĠest mme pas entirement terminŽe. È[16]

 

3. Les propriŽtaires de la maison Stambouli

 

Qui Žtait le b‰tisseur et propriŽtaire de la maison Stambouli, h™te des peintres orientalistes venus de France ? Certains ŽlŽments, apportŽs par Willem de Famars Testas et dĠautres par la gŽnŽalogie familiale, permettent de rŽpondre ˆ la question.

 

Selon Testas, en 1868, son h™te, M. Stambouli est mariŽ et a un fils de 18 ans.

 

DĠaprs la gŽnŽalogie familiale, Aaron Stambouli, lĠaccusŽ de lĠaffaire de Damas, a eu deux filles et un fils, Rafa‘l (1823-1892). Mais celui-ci est mort ˆ Beyrouth au Liban, envoyŽ probablement pour dŽvelopper les affaires familiales dans ce port en pleine expansion. Et Rafa‘l nĠa eu, selon la gŽnŽalogie familiale, que des filles.

 

En revanche, le frre dĠAaron Stambouli, Nathan ShehadŽ (1792-1854), a eu trois filles et un fils, Jacob (1828-1888), nŽ et mort ˆ Damas. Et Jacob a bien un fils de 18 ans en 1868, le jeune Salomon (1850-1895).

 

CĠest donc trs probablement Jacob Stambouli qui a fait construire la maison et qui reoit, ˆ lĠ‰ge de 40 ans, les peintres orientalistes, avec sa femme Esther.

 

Un autre ŽlŽment corrobore lĠattribution de la maison ˆ Jacob Stambouli. Linda Schatkowski Schilcher, en prŽsentant un plan de Damas au XIXe sicle, mentionne bien dans le quartier juif, ˆ lĠemplacement de la maison Stambouli, Ç maison de notable, famille de Jacob Istanbuli [17]È.

 

Jacob Stambouli eut deux filles, Bolissa et Sarah, et quatre fils : Joseph, nŽ en 1847, Salomon nŽ en 1850, David nŽ en 1855 et Elie nŽ en 1865. Nous ne savons pas grand-chose de Joseph. Elie mourut ˆ Beyrouth : son fils Jacques, journaliste, devint rŽdacteur en chef de la revue Ç lĠOrient È au Liban, et mourut ˆ Paris, en 1992, ayant fui la guerre civile libanaise[18]. David, dit Abou Daoud, Žtait pote et se faisait une gloire de ne pas travailler. La tradition familiale dit quĠil fut juge ˆ Damas[19] et que ses jugements en vers dŽpendaient de la rime quĠil trouvaitÉ Il mourut au Caire en 1949. CĠest Salomon qui reprit trs probablement la maison. Car, ˆ la mort de Salomon, en 1895, la famille vendit la maison ˆ Joseph Bey Liniado (1850-1942)[20].

 

Cette vente explique probablement le nom de Ç Nyadu È attribuŽ aussi ˆ la maison Stambouli, par dŽformation de Liniado[21]. Car on trouve le nom de Joseph Liniado orthographiŽ Yusuf Linyadu, en particulier quand il fut Žlu dŽputŽ, reprŽsentant de la communautŽ juive de Damas, en avril 1928 sous le mandat franais[22]. Joseph Liniado Žtait un commerant et financier aisŽ de Damas, dont le nom judŽo-espagnol est liŽ, semble-t-il, ˆ la fabrication de tissus  de lin.

 

La maison, propriŽtŽ des Liniado, resta cependant, par le jeu des alliances matrimoniales, occupŽe par la famille Stambouli.

 

Salomon Stambouli avait eu, avec sa femme Bolissa, nŽe Farhi, dix enfants : sept filles et trois garons. Dans les photographies anciennes de la cour de la maison prises par Bonfils dans les annŽes 1870, appara”t une femme entourŽe de sept enfants : trois garons et quatre filles. Il sĠagit trs probablement de Bolissa Farhi. Bolissa Farhi disait, selon la tradition familiale, que les filles Stambouli Žtaient tellement belles quĠil nĠy avait pas besoin de dot pour les marier. Un de ses fils, Jacques Stambouli (1889-1948) se maria en 1920 avec la fille unique de Joseph Bey Liniado, Adle Liniado (1901-1951). Les enfants dĠAdle, Salomon dit Raymond (1923-2004) et  Robert (1925-1951) naquirent dans la maison Stambouli o Adle vint accoucher[23].

 

Cependant la famille de Jacques Stambouli ne vivait plus ˆ Damas. Jacques, ŽlevŽ chez les JŽsuites ˆ Beyrouth, avocat aux Tribunaux mixtes, exerait au Caire o son frre Isaac sĠŽtait aussi Žtabli comme commerant. Son autre frre Nathan Žtait parti tenter sa chance au BrŽsil, ˆ Sao Paulo[24].

 

Aprs le dŽcs de Joseph Bey Liniado, la maison Stambouli-Liniado a ŽtŽ vendue en 1943 par Sabri Liniado, le neveu de Joseph Bey, ˆ une institution amŽricaine. Sabri Liniado vivra ensuite ˆ Beyrouth.

 

Dans les annŽes cinquante, une Žcole fut installŽe dans la maison Stambouli[25]. Puis celle-ci fut rachetŽe par un propriŽtaire privŽ musulman.

 

 

 

 

 

 4. LĠarchitecture de la maison Stambouli

 

LĠarchitecture de la maison Stambouli ne diffre pas profondŽment de celle des autres grandes maisons traditionnelles de Damas, que leurs propriŽtaires soient musulmans, juifs ou chrŽtiens.

 

Il est mme possible quĠelle ait ŽtŽ construite par des ouvriers chrŽtiens. Car, selon Zouhair Gazzal, au XIXe sicle, ˆ Damas, Ç les chrŽtiens contr™laient la quasi-totalitŽ des mŽtiers du b‰timent : maons, tailleurs de pierre, carrier et marbriers Žtaient presque tous chrŽtiens. LĠarchitecture et lĠhabitat Žtaient lĠÏuvre de la minoritŽ chrŽtienne[26]È.

 

Cependant, quelques dŽtails la distinguent comme maison juive.

 

La fontaine  de la cour dŽcorŽe de lĠŽtoile de David

 

Chaque grande demeure de Damas possŽdait une arrivŽe dĠeau pure et une Žvacuation des eaux usŽes. La cour disposait toujours au moins dĠune fontaine ou dĠun bassin. LĠeau pure Žtait distribuŽe  de fontaine en fontaine, car chaque fontaine Žtait amŽnagŽe un degrŽ plus bas que la prŽcŽdente. Les plus anciennes fontaines Žtaient en pierre taillŽe, mais, au XIXe sicle, avec le remaniement des maisons, elles furent refaites en marbre.

 

Dans les photos anciennes de la maison Stambouli, datant des annŽes 1870, la fontaine est dŽcorŽe dĠovales contenant des Žtoiles ˆ six branches. Cette dŽcoration se retrouve dans une photographie familiale, de 1930, o Jacques et Adle Stambouli posent devant la fontaine avec leurs enfants Raymond et Robert.

 

LĠŽtoile ˆ six branches nĠŽtait pas, jusquĠau XIXe sicle, un symbole utilisŽ uniquement par les Juifs. Ce motif se retrouve dans dĠautres maisons non juives de Damas : par exemple ˆ Be•t Nassan ou ˆ Be•t as- Sib‰Ġ”[27].

 

LĠŽtoile ˆ six branches (maguen David) est devenue un symbole prŽpondŽrant pour dŽcorer les synagogues ˆ partir du XIXe sicle[28]. CĠest seulement en 1897, aprs la construction de la maison Stambouli, que le premier congrs sioniste choisit le maguen David comme symbole de lĠOrganisation sioniste mondiale. Le maguen David devint, en 1948, le symbole de lĠEtat dĠIsra‘l.

 

Peut-tre quĠen plus de marquer le caractre juif de la maison Stambouli, ce maguen David Žtait-il une allusion ˆ David LŽvy, pre de Jacob Stambouli, b‰tisseur de la maison ? Toujours est-il que, dĠaprs les descriptions actuelles de la maison, cette dŽcoration a disparu.

 

LĠiwan et la synagogue privŽe.

 

La fontaine de la cour Žtait placŽe dans lĠalignement du salon de rŽception dĠŽtŽ – lĠiwan – qui est une vaste et haute alc™ve, fermŽe sur trois c™tŽs seulement, le quatrime Žtant ouvert sur la cour.

 

iwan est un ŽlŽment caractŽristique de lĠarchitecture prŽislamique iranienne[29], largement repris dans les maisons anciennes de Damas.

 

iwan est situŽ sur le c™tŽ sud de la demeure, avec son ouverture au nord, pour bŽnŽficier de la fra”cheur.

 

Pour une aŽration maximale, lĠiwan sĠŽtend en hauteur sur deux Žtages. Il est le plus souvent ornŽ dĠun plafond peint, de p‰tes et de pierres colorŽes, de pierres sculptŽes et incrustŽes, de murs peints ˆ fresques et dĠun sol en marqueterie de marbre.

 

Dans la maison Stambouli, lĠiwan, placŽ face ˆ la fontaine centrale de la cour, comprenait cinq miroirs, des motifs floraux, des paysages urbains peints. De part et dĠautre de lĠiwan, on retrouve le motif du maguen David. Sur le c™tŽ gauche de lĠiwan, dans la photographie de Bonfils, une porte est surmontŽe dĠune inscription en hŽbreu. La premire ligne est difficilement lisible : elle peut signifier Ç en mŽmoire de É È. La deuxime ligne est plus distincte. On peut lire Ç Levi Stambouli È, ce qui corrobore les origines du nom de la famille du propriŽtaire. Il est probable, selon lĠorientation vers JŽrusalem, que la porte surmontŽe de lĠinscription hŽbra•que ouvrait sur la synagogue privŽe que les Stambouli avaient amŽnagŽe dans la maison selon la tradition familiale.

 

La salle de rŽception fermŽe (ou q‰Ġa) est  situŽe dĠhabitude au nord de la maison damascne. Elle ouvre sur le sud, pour bŽnŽficier au maximum du soleil hivernal : cĠest la pice la plus glorieuse de la maison, o la dŽcoration se surpasse.

 

La salle de rŽception est divisŽe en deux parties : une entrŽe de plain-pied avec la cour, nommŽe Ôataba, avec trs souvent une petite fontaine au milieu. La deuxime partie est la mastaba o lĠon sĠassied, sŽparŽe de lĠataba par une grande arcature ouverte. Elle est situŽe en hauteur, ˆ une soixantaine de centimtres par rapport ˆ lĠataba. Cette plate-forme de pierre ou de marbre est recouverte de tapis et de kilims, avec un long cordon de coussins sur trois c™tŽs.

 

La maison Stambouli, dĠaprs les photographies anciennes, respecte la division Ôataba-mastaba et comprend de riches dŽcorations sculptŽes.

 

Quand Jacob Stambouli reoit le groupe des peintres europŽens, vers quatre heures de lĠaprs-midi, le 4 mai 1868, il leur sert des rafra”chissements et des cigarettes. Les femmes invitŽes, dont Lady Jane Digby[30], une aristocrate anglaise convertie ˆ lĠislam, prennent place dans Ç lĠample divan È. Il sĠagit trs probablement de lĠiwan, que dŽcrit aussi Testas, dans le cas de la maison Lisbona : Ç un beau divan de rŽception ˆ vožte ŽlevŽe et en plein air È.

 

Puis, vers sept heures et demie, Ç on passait dans la salle ˆ manger È. Il sĠagit probablement de la mastaba, car, aprs le d”ner, Testas est Ç redescendu dans la grande salle È, probablement lĠiwan, pour gožter des confitures et assister ˆ des danses.

 

5. Un patrimoine ˆ conserver

 

La maison Stambouli de Damas a miraculeusement survŽcu aux alŽas de lĠhistoire. Elle tŽmoigne de lĠarchitecture raffinŽe des maisons traditionnelles de Damas. Construites en fonction du climat, elles sont fra”ches lĠŽtŽ, gr‰ce ˆ la cour avec la fontaine et la vŽgŽtation ; et chaudes lĠhiver, par lĠensoleillement des terrasses du premier Žtage. Elle Žvoque une prŽsence juive trs ancienne dans une des villes les plus vieilles du monde.

 

Le fait quĠelle soit toujours habitŽe par un propriŽtaire qui lĠaime contribue ˆ la prŽserver. Souhaitons quĠun jour, elle puisse ˆ nouveau tre visitŽe sereinement tout comme le quartier juif de Damas.

 

Le 2 juillet 2007

 

LŽgendes des photographies proposŽes ( les photos 1, 4, 5, 7 et 8 ont ŽtŽ publiŽes dans lĠArche)

 

1.           Carte postale de la maison Stambouli de Damas, (photographie Bonfils , vers 1870). La femme ˆ droite est probablement Bolissa Farhi.

2.           Le quartier juif de Damas est situŽ au sud-est de la rue Droite avec ses diffŽrentes maisons juives. Plan  provenant de Brigid Keenan, Damas, Editions Place des Victoires, 2000.

3.           Salomon Stambouli (1850-1895) (coll. privŽe).

4.           Devant une des portes donnant sur la cour, ˆ gauche, enceinte, probablement Bolissa Farhi (vers 1850-1924) qui eut dix enfants avec Salomon Stambouli. (photographie Frank Mason Good, vers 1870).

5.           Joseph Ç Bey È Liniado (1850-1942) et son Žpouse BahiyŽ Tuby (1870-1953), au moment de leur mariage vers 1897 (coll. privŽe).

6.           Jacques Stambouli et sa femme Adle Liniado, avec leurs enfants Raymond et Robert en 1930, devant la fontaine de la maison Stambouli (coll. privŽe).

7.           LĠiwan de la maison Stambouli (photographie Bonfils). De part et dĠautre, des Žtoiles de David Žtaient dessinŽes. A gauche, au-dessus de la porte une inscription en hŽbreu et lĠentrŽe dĠune synagogue privŽe.

8.           Salle de rŽception de la maison Stambouli, photographie Bonfils.

 

 

 

 



[1] Jacques Stambouli est Ma”tre de ConfŽrences en amŽnagement ˆ lĠUniversitŽ dĠArtois (Arras) et chercheur au CRIA de lĠUniversitŽ de Paris 1 PanthŽon-Sorbonne. NŽ ˆ Milan (Italie), il sĠest occupŽ pendant plus de 10 ans des Editions du Scribe, qui ont publiŽ de nombreux ouvrages sur la culture juive.  Il est le petit-fils du Jacques Stambouli (1889-1948) qui appara”t dans cet article.

[2] Bonfils Collection, In Arab Lands, The American University in Cairo Press, 2000. Le studio de photographies de FŽlix Bonfils sera repris ˆ sa mort en 1885 par son fils Adrien (1861-1929), puis de 1907 ˆ 1938 par Abraham Guiragossian. CĠest pourquoi on trouve  des cartes postales de la maison Stambouli marquŽes Bonfils ou Guiragossian. LĠŽpouse de FŽlix Bonfils, Lydie Cabanis (1837-1918) participa aussi ˆ la production des photographies du studio.

 

[3] Degeorge GŽrard, Damas perle et reine de lĠOrient, Flammarion, Paris, 2005, p.293.

[4] Keenan, Brigid, Damas,Editions place des Victoires, Paris, 2001, p. 94 et suivantes.

[5] De Famars Testas Willem, Journal de voyage en Orient, 1868, in Album de voyage, Des artistes au pays du Levant, RŽunion des MusŽes Nationaux, Paris, 1993, pp. 181-183. Nous reprenons entre guillemets des ŽlŽments de ce journal de voyage.

[6] Le groupe des peintres comprenait Jean-LŽon GŽrome, professeur de peinture de lĠEcole des Beaux-Arts de Paris, deux de ses Žlves – Paul-Marie Lenoir et Jean-Richard Goubie - son gendre, Albert Goupil, chargŽ des photographies, et trois autres peintres : LŽon Bonnat, Ernest Journault et Willem de Famars Testas. Les voyageurs partirent de Paris le 7 janvier 1868, visitrent le nord de lĠEgypte, le Sina•, Petra et JŽrusalem. Jean-LŽon GŽrome, dont le congŽ sĠachevait, dut quitter le groupe le 12 avril. Les autres vont continuer au nord vers les sources du Jourdain et sŽjourner ˆ Damas du 1er au 7 mai. Ils partiront ensuite vers Beyrouth, puis, par mer, atteindront Chypre, Rhodes, Smyrne et Istanbul le 18 mai

[7] Frankel Jonathan, The Damascus Affair, Cambridge University Press, 1997 ; Hebey Pierre, Les disparus de Damas, Gallimard, Paris, 2003 ; Stambouli Raymond, Les Juifs de Syrie et lĠaffaire de Damas, in Les Juifs dĠEspagne : historique dĠune diaspora, Liana Levi, Paris, 1992, pp.431-436. Le dossier du Ministre franais des Affaires Žtrangres, classŽ secret, a ŽtŽ ouvert au public, prs de 150 ans plus tard.

[8] Etaient aussi accusŽs et dŽtenus en prison : Mourad, Joseph, MŽhir et Juda Farhi, Isaac, Aron et David Harari, le rabbin Salonicli, Isaac de Picciotto, Jacob et Mo•se Aboulafia, le rabbin Jacob Antebi, Rapha‘l Dweck et Abraham LŽvy.

[9] David, Aaron et Isaac Harari, le rabbin Salonicli, Mehir, Joseph et Mourad Farhi, Jacob Aboulafia et Isaac de Piccioto.

[10] Rapport Merlato, citŽ par Pierre Hebey, p. 356. Mourad Farhi, le plus riche nŽgociant de Damas, est mentionnŽ comme possŽdant un patrimoine de 12 ˆ 15 000 talaris.

[11] Selon les rapports dĠenqute (rapport Ratti-Menton ou rapport Merlato), Aaron LŽvy-Stambouli est soit appelŽ Aaroun Stambouli soit Aaron LŽvy. Il sĠagit de la mme personne. De nombreuses donnŽes de la gŽnŽalogie familiale ont ŽtŽ apportŽes sur le site  www.farhi.org/genealogy.

 

[12] Un des accusŽs, Isaac de Picciotto Žtait protŽgŽ autrichien.Le consul dĠAutriche, M. Merlato, conformŽment aux accords avec lĠEmpire ottoman, demanda ˆ instruire lĠaffaire concernant son protŽgŽ. Aboutissant ˆ des conclusions diamŽtralement opposŽes ˆ celles du consul de France, il alerta James de Rothschild, consul dĠAutriche ˆ Paris. LĠaffaire Žclata au grand jour, aboutissant ˆ une dŽlŽgation dĠAdolphe CrŽmieux et de Sir Moses Montefiore, soutenue par la reine dĠAngleterre Victoria, auprs de Mohamed Ali, vice-roi dĠEgypte. Ce dernier ordonna la mise en libertŽ des victimes et rappela ChŽrif Pacha au Caire. Ratti-Menton sera nommŽ loin de lĠOrient.

[13] Girard Patrick, Pour le meilleur et pour le pire, Vingt sicles dĠhistoire juive en France, Bibliophane, Paris, 1986, p.309.

[14]  Stillman Norman A., The Jews of Arab Lands, a history and source book, The Jewish Publication Society of America, Philadelphia, 1979, p.101.

[15]  Keenan Brigid, op. cit. . p.72. et Degeorge GŽrard, op. cit. p. 227 et suivantes.

[16]  Des artistes en expŽdition, op. cit. p.181.

[17] Shatkowski Schilcher Linda, Families in Politics, Damascene factions and estates on the 18 th and 19 th centuries, Franz Steiner Verlag, Wiesbasden, Stuttgart 1985, plan H5.

[18] Vice-prŽsident de la CommunautŽ israŽlite de Beyrouth, il a laissŽ un manuscrit sur les Juifs du Liban, conservŽ par son fils Elliott.

[19] Avec les lois de modernisation de lĠEmpire ottoman, ˆ la fin du XIXe sicle, des non musulmans devinrent juges aux Tribunaux de Commerce de premire instance et dĠappel, selon Philip S. Khoury, Urban notables and arab nationalism : Damascus(1860-1920). Cambridge University Press, 1983, p. 45, note 22. 

[20] Notes laissŽes par Salomon Ç  Raymond È Stambouli (1923-2004).

[21] Cette idŽe mĠa ŽtŽ suggŽrŽe par Mireille Lenos, fille de Jacques Stambouli et dĠAdle Liniado, nŽe en 1931 au Caire.

[22] Shambrook Peter A., French imperialism in Syria, 1927-1936, Ithaca Press, 1998.

 

[24] Informations recueillies auprs de RenŽe Cohen, Žpouse de Salomon Ç Raymond È Stambouli.

[25] Notes laissŽes par Salomon Ç Raymond È Stambouli.

[26] Gazzal, Zouhair, LĠŽconomie politique de Damas durant le XIXe sicle, Institut franais de Damas, Damas, 1993, p.131.

[27] Keenan Brigid, op. cit.p.148. LĠauteur note que les motifs en Žtoile sont frŽquemment utilisŽs dans les arts dŽcoratifs islamiques.

[28] Ilana Shamir, Shlomo Shavit, EncyclopŽdie de lĠhistoire juive, 1989, Editions du Scribe-Liana Levi, Paris, p.232.

[29]  Stierlin Henri, LĠarchitecture de lĠislam, DŽcouvertes Gallimard, Paris, 2003, p.36  et p.151.

[30] Lady Jane Digby, aristocrate anglaise originale, Žtait ˆ lĠŽpoque lĠŽpouse dĠun cheikh bŽdouin de Palmyre, tout en sŽjournant souvent ˆ Damas. Elle a ŽtŽ  enterrŽe ˆ Damas en 1881. Sa tombe et sa maison peuvent tre visitŽes.