Les Farhi de Damas

F. Loewe, Assistant à Sir Moses Montefiore
Traduit par Remi Hakim

 

"En l'année 5491 (1731 de l'ère chrétienne) les ancêtres des Farhi vinrent de Tyr en Asie Mineure. Environ 120 ans auparavant, Haim Farhi (grand-père du regretté Haim Farhi) vint à Damas avec son frère Joseph. Ils étaient tout deux employés comme banquiers (sariff) par le Gouverneur de Damas. Ils étaient également chargés de tenir les comptes des revenus du Gouvernement et de ceux reliés au pèlerinage de La Mecque et des dépenses liées, ainsi que des frais d'entretien de l'armée. Ils s'occupaient aussi des revenus des fermes et villages.

Quand le Gouverneur de Damas fut nommé ailleurs, son successeur, voyant que la gestion des deux frères avaient donné pleine satisfaction, les confirma dans leurs charges, comme le firent d'ailleurs tous les gouverneurs qui se succédèrent à Damas.

Haim eut deux fils, Salomon et Nathan. Ce dernier, étant le plus doué des deux, succéda à son père dans les diverses charges qu'il avaient tenues. Il le surpassa même en importance par l'influence qu'il eut sur le Gouverneur et par son renom au sein du peuple. Nathan eut cinq fils, Haim, Menahem, Joseph, Raphaël et Moïse, ainsi qu'une fille Reina. Salomon eut deux fils, Jacob et Meir, dont le premier seulement eut à s'occuper d'affaires publiques. Nathan, auquel le Gouverneur de Haina avait demandé d'envoyer une personne de confiance qu'il puisse employer comme banquier, envoya son fils aîné Haim. A cette époque, ce dernier était très jeune, mais il était doué d'un talent si extraordinaire qu'après quelques années, il fut rappelé de Haina à Damas afin de surveiller et de conseiller les membres de sa familles dans leurs différentes charges publiques. Quand Haim eut vingt ans, il fut envoyé à Constantinople pour contrôler les comptes avec le Ministre des Finances. Les capacités montrées par Haim à cette occasion suscitèrent la jalousie et la haine de quelques personnes influentes et fanatiques à Constantinople, qui le firent emprisonner pendant de nombreuses années, sans même que son cas n'ait été examiné. Il fut également soumis à de cruelles tortures, et n'eut même pas la possibilité de répondre aux charges soulevées contre lui. Sa sœur Reina, quoique âgée alors de quatorze ans, entreprit d'aller à Constantinople avec l'intention de demander justice pour son frère.

Une fois là-bas, elle attendit le passage du Sultan dans une rue et, lorsqu'il arriva, prit la bride de son cheval et présenta sa requête, dans laquelle elle relatait l'injustice avec laquelle son frère avait été traité. Le Sultan fit faire une enquête et fut convaincu de l'innocence de Haim; il ordonna sa libération et le réinstalla dans ses charges précédentes.

Haim une fois à Damas, fit revenir ses frères et les employa à nouveau dans ses fonctions publiques. Peu après son retour, Ahmed Pacha Djezar fut nommé Gouverneur de Damas. Il était renommé pour sa cruauté et la brutalité avec laquelle il obligeait ses sujets à lui fournir toute somme d'argent qu'il exigeait d'eux. Haim Farhi tenta d'intercéder pour quelques-unes de ses malheureuses victimes et fit des représentations au Gouverneur pour ses agissements sans pitié. Il offensa ainsi Ahmed Pacha au point que ce dernier commença à concevoir en secret le désir de tuer Haim; mais il réalisa qu'il ne pouvait se passer de lui et fut obligé de lui laisser ses diverses charges. Il prit sa revanche en persécutant les frères de Haim au point qu'ils furent contraints de quitter Damas pour Alep et Bagdad. Par la suite, Ahmed Pacha fut nommé gouverneur de Sidon. Il emmena Haim Farhi avec lui, qui laissa des parents à Damas à sa place de sorte que les deux provinces étaient sous son contrôle et sa direction. Ahmed Pacha, craignat d'être puni par la Porte en raison de ses exactions envers ceux qui dépendaient de lui, fit fortifier Acre dont il fit sa résidence. Pensant qu'il était désormais en sécurité, il se livra encore davantage à ses instincts barbares, inventa de nouvelles tortures, tuant des femmes en les pendant par la poitrine, jetant des enfants dans des puits, crevant des yeux, coupant leur nez et leurs oreilles, écrasant leurs avant-bras. Et tout cela afin que ses malheureuse victimes lui abandonnassent leurs biens !

Les proches du Pacha, voyant que la plupart des charges publiques étaient entre les mains des Farhi et que Haim Farhi tentait le maximum pour soulager les souffrances causées par ses exactions et ses traitements inhumains, devinrent très jaloux de sa bonne réputation et tentèrent d'inciter le Pacha à le tuer. Cependant, le Pacha, conscient de ce que Haim Farhi lui était indispensable, dit à ses proches qu'il ne pouvait le tuer tant qu'un remplaçant possédants les mêmes capacités ne lui aurait pas été procuré. En conséquence, ils lui amenère un homme de Haina auquel il attribua alors des charges tenues auparavant par Farhi, qui fut donc envoyé en prison. Cet homme, cependant, se montra rapidement incapable de mener à bien ses taches; aussi en fut-il déchargé bientôt. Ceux qui l'avaient recommandé au Pacha tombèrent en disgrâce tandis que Haim fut libéré de prison et, une fois de plus réinstauré dans ses charges et honneurs précédents. Ceci suscita encore plus la jalousie de ses ennemis. Ils continuèrent à le persécuter et pressèrent Ahmed de le tuer jusqu'à ce qu'il prit peur qu'il ne s'enfuit. Pour l'en empêcher, il le faisait garder dans sa maison toutes les nuits et amener à son bureau sous escorte. Il ordonna aussi que ses yeux fussent crevés et qu'une partie de sonnez et de ses oreilles fussent coupés. Le Pacha regretta très vite ces ordres et envoya rapidement des contre-ordres; mais les ennemis de Farhi avaient tout préparé à l'avance et l'ordre cruel fut exécuté avec tant de hâte que le contre-ordre arriva trop tard.

Le Pacha appela alors Farhi et essaya de le réconforter par de bonnes paroles, affirmant que ce qui était arrivé était le fruit de personnes entre les mains du démon; et il lui donna de nouveaux honneurs. Le pauvre Farhi devait se soumettre et promettre qu'il servirait encore le Pacha avec fidélité. Haim fut au service du Pacha jusqu'à ce que celui-ci mourut.

La mort d'Ahmed Pacha Djezar causa une joie générale dans le pays et le peuple remercia le Tout-Puissant de l'avoir délivré d'un tel tyran.

Ismaël Pacha, l'un de ses esclaves, et l'organisateur des brutalités de son prédécesseur, prit alors les rênes du pouvoir et Farhi fut contraint de rester à son service. Quelques mois plus tard, pourtant, la Sublime Porte nomma Soliman Pacha comme Gouverneur d'Acre et Sidon. Il en informa Farhi qui le communica aux officiels qui livrèrent immédiatement la ville au nouveau Gouverneur, qui peu après prit également possession de Sidon.

Soliman, qui aimait la justice, chargea Farhi de tout ce qui concernait les affaires de la place, lui enjoignant de tout faire selon ses capacités.

Farhi, sous les auspices du Pacha, prit la direction des affaires, introduisant partout des principes d'équité et de justice, manifestant honneur et respect à chaque individu selon ses mérites. Par sa conduite, il attira l'attention de la Sublime Porte, et fut également très estimé par Mohammed Ali Pacha en Egypte. La correspondance secrète entre la Sublime Porte et Soliman Pacha fut menée par Farhi, très versé dans la langue turque.

Auparavant, c'était une habitude que les chefs de districts fussent autorisés à pratiquer les extorsions et à infliger la peine capitale à leur seule discrétion; mais maintenant que Farhi étaient à la tête de l'administration, cette tolérance leur fut enlevée. Tout officiel qui se permettrait d'acquérir de l'argent par extorsion, se verrait dûment puni et personne ne pourrait être mis à mort à moins que le crime dont il serait accusé ait été porté à la connaissance de la Cour de Justice et condamné selon la loi. Toute amende, payable en argent par le transgresseur, serait destiné à la distribution parmi les pauvres du pays selon un ordre du juge.

Farhi fut également chargé de la sécurité sur les grandes routes et, tant qu'il fut à la tête de l'administration, les femmes et les enfants pouvaient voyager sans aucun danger.

Il remit toujours les comptes de son administration aux mains de ses employés chrétiens afin de rendre évident à tout habitant du pays, ou à tout étranger, que dans tous ces actes il n'y avait rien qui dût être caché aux yeux du public.

La stricte intégrité et la bonne réputation de Haim Farhi fit que les habitants de Palestine le nommèrent trésorier de toutes les contributions envoyées de l'étranger pour le soutien aux pauvres et aux étudiants du Talmud dans la Terre Sainte. Il s'adonna à cette tâche avec un grand zèle et, souvent, avança lui-même de grandes sommes, sans intérêt, lorsque les dons n'arrivaient pas à temps. Sa bonté était connue très loin et de nombreuses demandes de secours lui parvenaient, non seulement des habitants de Turquie mais aussi de ses coreligionnaires de Russie et d'Autriche. Sur ses propres deniers, il fonda des institutions pour le soutien et l'entretien d'instituteurs érudits et d'élèves des écoles; et il importa également un grand nombre de livres d'hébreux pour les distribuer parmi les élèves pauvres, qu'ils soient Juifs ou non, auxquels il donnait aussi des vêtements nouveaux qu'il achetait par grandes quantités tous les ans. Il possédait une très bonne instruction et, outre sa connaissance de divers sujets séculiers, il était également érudit en théologie, astronomie et versé dans les lois islamiques. Il connaissait parfaitement le turc et l'arabe, écrivait convenablement l'hébreu et possédait quelques connaissances du persan. Ses manières courtoises, sa bonté et son érudition, lui valait l'admiration générale. Ses frères imitèrent son exemple et furent également grandement respectés.

Haim Farhi, comme ses frères, manifestait la plus grande hospitalité à tous les étrangers, dans sa maison de Damas, et était toujours prêt à leur rendre service.

Soliman Pacha, le Gouverneur, avait nommé Ali Pacha, l'un des Djezars des Mamelouks, en tant que son Lieutenant. Cet homme était malade et, sur son lit de mort, fit appeler Haim, le priant de veiller sur son fils Abdallah. Haim promit de faire de son mieux et, après la mort d'Ali, introduisit le fils auprès de Soliman Pacha; il obtint que le fils succéda à son père dans ses charges. Haim demeura dix-neuf ans au service de Soliman Pacha sans jamais encourir le moindre reproche et donna la plus grande satisfaction par sa gestion des affaires de l'Etat.

Après la mort de Soliman, la mère d'Abdallah vint voir Haim, le pria de lui accorder sa protection afin qu'il puisse devenir Gouverneur d'Acre. A cette époque Abdallah était encore très jeune mais Haim, pensa qu'étant donné qu'il l'avait élevé dans des principes de vertu, il serait capable de le mener dans le droit chemin; se remémorant aussi la promesse faite à son père, il recommanda Abdallah au Sultan et lui fit acquérir le Gouvernorat.

Après la nomination d'Abdallah, le Gouvernement Turque exigea, comme c'était la coutume, d'abandonner la propriété de son prédécesseur, Soliman n'ayant laissé aucun fils. Une fois encore, Haim intercéda en sa faveur de sorte qu'on n'exigea de lui seulement une partie de la propriété et il fut autorisé à garder le reste pour lui-même. Pendant l'époque où Haim était aux affaires, il n'y avait aucune nécessité de maintenir une grande armée; tout était mené avec tant de correction que le peuple était satisfait et l'appelait même Haim Pacha !

Cependant Abdallah s'était entouré de jeunes gens prodigues et débauchés qui le menèrent bientôt à oublier les enseignements de Haim et à devenir jaloux de son influence sur le peuple. Lorsque Haim s'aventurait à lui faire des remontrances pour abandonner le chemin de la vertu, il suscitait seulement la colère d'Abdallah.

Haim se rendit bientôt compte qu'il n'avait plus aucun ascendant sur son élève tandis que l'influence de ses mauvais compgnons devenait plus importante. Il se repentit, mais trop tard, d'avoir amené Abdallah au pouvoir. Les compagnons d'Abdallah lui dirent qu'il ne serait jamais en sécurité aussi longtemps que Haim vivrait car, fort probablement, Haim s'en remettrait au Sultan. Haim, lui dirent-ils, devait d'abord être écarté de son chemin. Ils portèrent à Abdallah des rapports mensongers sur Haim qui l'enragèrent au point qu'il ne pouvait plsu écouter ce que Haim lui disait.

La mère d'Abdallah tenta de le raisonner et lui reprocha son ingratitude envers Haim auquel il devait sa position, sa fortune et tout ce qu'il avait dans la vie; ce fut en vain. Plusieurs personnes prévinrent à Haim que le Pacha voulait le tuer, mais il refusa de croire que quelqu'un pour lequel il avait été plus qu'un père, put agir aussi bassement. Finalement ses ennemis triomphèrent et obtinrent du Pacha l'ordre d'exécuter Haim. Cependant, avant d'en donner l'ordre, le Pacha avait envoyer chercher le Mufti pour tenter d'en obtenir une fatwa contre Haim, disant que ce Juif avait réussi à obtenir une grande influence sur les musulmans, à l'aide de moyens illégitimes, ce qui est contraire aux Lois du Coran et punissable de mort. Mais le Mufti refusa de donner la fatwa et, tout au contraire, fit l'éloge de Haim, affirmant qu'il était un serviteur de l'Etat très utile, intègre dans toutes ses entreprises, et que le tuer serait non seulement une injustice mais encore une grande perte pour l'Etat. Abdallah fut exaspéré par ce refus mais décida néanmoins de faire exécuter Haim.

Dans le milieu de la nuit, Il le fit appeler. Haim obéit aux ordres du Pacha et quand il parvint à la porte de sa maison, il fut arrêté par le lieutenant du Pacha et cinq cents hommes armés. Le décret barbare du Pacha fut montré à Haim qui, l'ayant lu, dit avec une résignation sublime : "Que la volonté du Tout-Puissant et les ordres du Pacha soient accomplis, mais je vous prie de me laisser le temps de dire d'abord mes prières". Ils acceptèrent sa requête, et dès qu'il eut fini ses prières, il fut étranglé à la porte de sa propre maison et son corps sans vie fut apporté au Pacha.

Quand cet événement affreux fut connu dans la ville, il causa une affliction et des lamentations générales parmi tous les habitants, Juifs, Chrétiens et Mahométans, mais les ennemis invétérés de Haim n'étaient pas encore satisfaits. Ils dirent au Pacha : "Que le corps de Haim soit jeté à la mer, autrement le peuple risquerait de faire de sa tombe un lieu de vénération et de pèlerinage". Abdallah pensa qu'en effet, cela était fort probable et, en conséquence, il permit que le corps de son bienfaiteur fut jeté à la mer, en même temps qu'ils donnait des ordres afin que l'affaire fut cachée à sa mère qui, il le savait, en aurait été outragée. La maison de Haim fut fermée et ses biens furent confisqués par le Pacha.

Après que le corps de Haim eut été jeté dans la mer, on le vit encore flotter à la surface, et Abdallah ordonna encore qu'il y fut jeté à nouveau lesté de gros poids afin qu'il ne fut point troublé encore par sa réapparition. Le jour suivant, se repentant de ce qu'il avait fait, il offrit une grande récompense pour la découverte du corps afin qu'il fut enterré décemment; mais en vain.

Quand le Vice-Roi d'Egypte, Mohammed Ali Pacha, entendit parler du meurtre, il en fut indigné. "Quel fou doit être Abdallah, s'exclamât-il, pour se priver lui-même d'un pareil assistant, d'un homme avec de telle qualités ! S'il me l'avait abandonné, je lui aurais volontiers donné des milliers de bourses en échange". Après cela, Abdallah fut d'une grande tristesse en raison de son crime et le reste de sa vie fut pleine d'un amer remord. Il rendit aux Farhi la majeur partie des biens qu'il avaient confisqués et permi également à sa veuve et à ses frères de quitter Acre pour toujours. Ils s'en furent à Damas mais sa veuve, accablée par le chagrin, succomba pendant le voyage.

Son frère Moïse obtint avec son cousin Salomon, et son frère Raphaël, un emploi au bureau du Trésor de Damas. Abdallah envoya alors un messager à Constantinople pour présenter au Sultan sa propre version de la mort de Haim; il lui envoya en même temps des présents que celui-ci rejeta avec indignation. Le Sultan menaça alors le Pacha de sa vengeance. Abdallah soupçonna alors les frères de Haim d'avoir envoyé un rapport véridique au Sultan et regretta amèrement de les avoir laissés partir à Damas. Afin de ses venger, il envoya des décrets à tous ses officiers leur enjoignant de chasser les Juifs de leurs districts. Il donna lui-même l'exemple en infligeant d'horrible tortures aux Juifs de Saint-Jean d'Acre, en envoyant un grand nombre aux travaux forcés, condamnant d'autres à mort et confisquant tous les biens possibles. De la même façon, les Juifs de Palestine eurent à souffrir de sa tyrannie. sa conduite scandaleuse était tellement insupportable qu'en 1825 Dervish Pacha, le Gouverneur de Damas, fut envoyé avec trois autres Pachas et 40000 soldats pour le décapiter. Dervish Pacha emmena avec lui son Saraf, Salomon Farhi, l'un de ses parents. Quant Abdallah eut vent de cela, il envoya des émissaires secrets pour empoisonner Salomon, affirmant que Salomon empêchait toute réconciliation. Salomon fut donc empoisonné et Raphaël, son frère, dut prendre sa place. Quand la mère d'Abdallah s'aperçût qu'aucun bien ne résultait de la mort de Salomon, pour son fils, elle alla voir Mohammed Ali, le Vice-Roi d'Egypte et lui demanda d'intercéder en faveur de son fils, à Constantinople, qui promit de gouverner avec justice, dans le futur. En cela, elle obtint satisfaction car les troupes furent retirées d'Acre, tandis que Dervish Pacha retourna à Damas, emmenant avec lui Raphaël Farhi.

Pas plutôt qu'Abdallah se vit libre, qu'il envoya ses propres troupes à Damas pour attaquer le Gouverneur, afin de se venger d'avoir été le porteur des ordres du Sultan; il se conduisit encore de manière tellement scandaleuse que le peuple sous sa juridiction le surnomma "Abdallah le fou".

Après la mort de Salomon Farhi, Abdallah répandit à Constantinople, la rumeur selon laquelle la famille Farhi était encore tout à fait opulente et que ses biens n'avaient pas été acquis honnêtement. En dépit de toutes les évidences du contraire, quelques officiers de la Porte ne purent s'empêcher de mordre à l'hameçon, et Saleh Pacha fut envoyé pour confisquer leurs biens. Raphaël fut mis en prison et totalement ruiné. Saleh Pacha ordonna dans la foulée l'emprisonnement de tous les notables juifs de Damas. Ils ne furent pas libérés avant que d'importantes rançons ne fussent versées. Raphaël s'en fut alors à Bagdad avec l'intention d'y rester, mais après quelques temps Saleh Pacha l'envoya chercher et le réinstalla dans ses emplois de confiance et son honneur.

Raphaël tint cet emploi pendant de nombreuses années, jusqu'à l'invasion égyptienne. En 1833, une grande confrontation eut lieu entre Abdallah et Mohammed Ali, Vice-Roi d'Egypte, dans laquelle Ibrahim Pacha défit Abdallah et prit possession de toute la Syrie. Ibrahim confirma Raphaël dans son emploi et lui donna de nombreuses distinctions et marques de confiance. Après de nombreuses années, de mauvaises personnes, jalouses de l'influence de Raphaël, intriguèrent contre lui et obligèrent le Pacha à donner son emploi à un autre; mais, pour preuve que Raphaël n'avait pas perdu son amitié personnelle, il fit de lui un membre du Conseil Municipal de Damas.

Dès que le Gouvernement Egyptien fut expulsé de Syrie, grâce à l'intervention des anglais, Raphaël fut à nouveau remis à son poste précédent. Après sa mort, son emploi fut donné à un Chrétien, mais la responsabilité globale fut placée sous la direction de Defterdar Effendi, envoyé directement de Constantinople, privant ainsi cette charge de sa dignité et de la confiance qu'elle supposait. Depuis cette époque, aucun membre de la famille Farhi n'a pu obtenir d'emploi du Gouvernement, quoiqu'ils fussent tous honorables et que beaucoup d'entre eux fussent très compétents; les services rendus par leurs ancêtres étant complètement négligés.

Noms des membres survivants de la famille Farhi :

Meir Farhi, membre actuel du Conseil Municipal (bénévole)

Salomon, Moïse, Jacob, fils de Meir Farhi

Joseph et Nissim, fils de Menahem Farhi, et Salomon fils de Joseph

Ezékiel et Nathaniel, fils de Joseph Farhi

Aaron Farhi, leur neveu

Mordechai et Menahem, fils de Moïse Farhi

Judah, Meir, David, fils de Raphaël Farhi

Israël H. Farhi, fils de Salomon, empoisonné à Acre

De ces seize personnes, sept seulement sont à peu près à l'aise, les autres gagnent difficilement tout juste de quoi vivre."

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Haim Farhi (El Muallim)

Né: au alentour de 1750, probablement à Damas
Décédé 1820, Saint Jean d’Âcre

Fils de Saul (Shihada) Farhi, banquier à Damas, Haim entra au service du Sultan de l’Empire Ottoman et fut Premier Ministre sous El Gazzar (Le Boucher), Gouverneur de Palestine, à Saint Jean d’Âcre avant, pendant et après le siège de Napoléon de cette ville.

La sérigraphie ci jointe dépeint Haim auprès de la cour de El Gazzar. On remarquera que Haim fut amputé de son nez et son oeil sur l’ordre de El Gazzar lors d’une dispute antérieure. Celui la n’empêcha pas de le nommer Premier Ministre après une réconciliation.

Haim fit construire les murailles et défendant la ville avec l’aide d’un ravitaillement de la marine anglaise. Napoléon finit par lever le siège et retourna en Égypte.

Haim était l'objet de la haine des négociants Francais de St Jean D'acre. Sa politique économique du cartel du négoce les ayant chasse vers les autres ports de la côte (Beyrouth en particulier). Sa maison ou il vécu à Saint Jean d’Âcre porte sur le fronton une Fleur de Lis (Royaliste). Le quartier etait connu comme Khan el Frang (des étrangers/français). Haim était aussi connu par un titre honorifique "Le Maître" (en arabe El Muallim).

Après le décès de El Gazzar, son successeur Soleiman le fit assassiner et son corps fut jeté des remparts de la ville dans la mer.

Le décès de Haim fut le début d’une cabale mené par ses frères contre Soleiman auprès du Sultan d’Istanbul pour le chasser de son poste de Gouverneur.

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Extrait Moïse Franco: Essai sur l’histoire des Israélies de l’Empire Ottoman

En 1830, par suite de la pénurie du Trésor, l’impôt de capitation, le Kharadj, fut porté de quatorze à trente piastres[1]. Deux faits où le gouvernement impérial ne fut absolument pour rien causèrent aussi de regrettables préjudices aux Israélites. Nous voulons parler de l’affaire Farhi à Saint-Jean-d’Acre et de la pendaison du patriarche Grégoire à Constantinople.


Les Farhi sont une des anciennes familles de Damas, dont les ancêtres n’avaient probablement jamais habité en Espagne. En 1818, un membre de cette famille, Haïm Farhi, résidait à Saint-Jean-d’Acre. C’était un homme très pieux, très riche et surtout très influent auprès du gouvernement ottoman. Mahmoud avait une telle confiance dans l’intégrité et le jugement droit de cet homme, que c’était sur ses rapports que le gouvernement destituait ou nommait le pacha de Saint-Jean-d’Acre. Par égard pour Farhi, les pachas qui se succédaient dans ce poste dispensaient les Israélites d’Acre de la capitation ainsi que de toute autre taxe.
Au commencement de ce siècle, Ahmed Djézaïr, celui que les Français surnommèrent Ahmed le Boucher ou le Cruel, usurpa le pachalik de Saint-Jean-d’Acre. Une fois maître du pouvoir, il perdit de réputation Farhi auprès des habitants ; il alla jusqu’à l’insulter publiquement et lui infligea la dernière des humiliations en lui crevant un œil et en lui coupant le bout du nez. A la mort d’Ahmed Djézaïr, ses fonctions furent confiées à Suleyman-Pacha, qui vers 1818, fut remplacé, à son tour, par Abdullah-Pacha.


Fils d’un bey mort jeune, Abdullah avait été adopté dans son enfance par Haïm Farhi, qui éleva le jeune musulman avec, une sollicitude toute paternelle et réussit, plus tard, à le faire nommer aux fonctions élevées qu’il exerçait. Docile, dans les premiers temps, aux conseils de son bienfaiteur, Abdullah songea, dés la seconde année, à secouer cette tutelle. Les reproches que Farhi se permit alors d’adresser à son ingrat enfant d’adoption causèrent la perte du vieil Israélite. En effet, la veille du mois d’Eloul de l’année 5578 de la Création (1818), des émissaires d’Abdullah se rendirent chez Farhi et l’étranglèrent à la façon orientale, en lui passant le lacet traditionnel autour du cou.


Le lendemain, tous les biens de la victime furent confisqués par le Pacha, qui défendit même d’ensevelir le cadavre ; on le jeta à la mer. Tous les Israélites d’Acre, de Safed et des environs furent emprisonnés jusqu’à ce qu’ils eussent payé les impôts arriérés dont ils avaient été dispensés jusqu’alors. Ces malheureux durent vendre jusqu’aux objets de première nécessité pour acquitter les redevances exigées par le pacha.


A la nouvelle de l’assassinat de Haïm Farhi, ses trois frères, Salomon, Raphaël et Moïse, qui habitaient Damas, écrivirent aux Israélites influents de Constantinople, notamment à Tchélébi Béhor Carmona, pour le prier de demander justice au sultan. Carmona obtint du Cheikh-ul-Islam fetva par lequel le gouverneur de Damas, celui d’Alep et deux autres pachas furent tenus de prêter mainforte aux trois frères Farhi contre Abdullah Pacha. Au reçu du fetva, ces pachas vinrent mettre le siège devant Acre. Le blocus durait depuis quatorze mois, et la famine était devenue telle que les assiégés allaient immanquablement se rendre, lorsque Abdullah conçut le projet de se débarrasser de Salomon Farhi, le plus acharné de ses ennemis en le faisant poignarder. Les deux autres frères, découragés, quittèrent le champ de bataille et retournèrent à Damas. Il était temps, d’ailleurs, car les pachas qui avaient embrassé la cause des Farhi, fatigués de ce long siège, ne combattaient plus qu’à contrecœur. D’autre part, Abdullah s’était adressé au fameux Méhémet-Ali, d’Égypte, le priant d’intercéder en sa faveur auprès du sultan afin qu’on levât le siège. Au reçu de la lettre de Méhémet-Ali, Mahmoud se mit en colère, car tout cela s’était passé à son insu. Sur son ordre, le Cheikh-ul-Islam fut exilé pour avoir signé le fetva. Quant à Tchélébi Béhor Carmona, le souverain fut vivement irrité de son intervention et le lui fit sentir quelques années plus tard[2].

[1] Ed. Engelhardt, La Turquie et le Tanzimat, p. 25.
[2] Ce récit est extrait du Maasé Eretz Israël, ouvrage judéo-esp., page 68.

 

 Haim a la Cour de El Djazzar

 Gravure représentant Haim Farhi auprés de Djezzar Pacha

Haim Farhi, avec son œil crevé, son oreille et son nez coupés, tendant à Djezar Pacha, la condamnation d'un criminel (gravure anglaise effectuée d'après la relation du consul britannique).