Il vient de paraître aux Editions « Esthétiques du Divers » un ouvrage écrit par Dominique Jarrassé Universitaire professeur d’histoire de l’Art Contemporain à l’Université de Bordeaux et à l’Ecole du Louvre, concernant l’œuvre oubliée du plus grand mécène du XIX ème siècle . Il s’agit de Daniel Iffla dit OSIRIS – Il se trouve que ma famille a été mêlée par la petite « porte de l’histoire » à l’aventure romantique et extraordinaire d’OSIRIS.
Mon grand père Lucien Tivoly (1888/1961) connut Osiris Iffla (1824//1907) ainsi que mon trisaïeul’ Edouard Aaron Tivoly (1824/1900) – Aujourd’hui, deux siècles plus tard je peux témoigner de l’histoire « orale » qui m’a été transmise et que j’ai retenue sur cette amitié séculaire entre nos familles. Je n’ai aucun document écrit en ma possession, mes grands parents ayant tout détruit par précaution pendant la guerre en raison des perquisitions de la Gestapo ou de la Milice qui étaient fréquentes en Savoie depuis l’occupation de la zone dite « libre » par l’armée Allemande en 1943.
Orphelin de père en 1939 je vécus chez mes grands parents maternels pendant la guerre à Garches dans la banlieue Parisienne. J’ignorais tout de mon patronyme et de mes origines. En 1946 ma mère remariée à un Britannique alla s’établir au Caire où mon beau-père avait été nommé à la British American Tobacco . Je fus du voyage. En Egypte je découvris la douceur de la culture orientale, l’empathie et le Judaïsme, le tout relié par l’Universalité de la Langue Française qui nous était enseignée au Lycée Français du Caire par des maitres exceptionnels.
Après les évènements de 1952 et de 1956 qui altérèrent le cours de l’histoire en Egypte en provoquant l’exode des étrangers et des Juifs (en majorité séfarades) qui y résidaient . mon beau-père et ma mère partirent s’établir en Rhodésie (Zimbabwe maintenant).
Quant à moi je rejoignis mes Grands Parents paternels en Savoie. . Mon grand Père avait créé une usine d’outils coupants en 1917. Mon Grand père que j’adorais, fut mon mentor. Il restait discret, sinon silencieux sur toute la période d’avant 1945. Sans doute ne voulait-il pas raviver des souvenirs douloureux..
C’est petit à petit que je découvris « le Grand OSIRIS » :
Une à deux fois par an j’accompagnais grand-père au Cimetière Montmartre à Paris ; on se recueillait sur le caveau familial : simple pierre tombale blanche portant l’inscription « Famille Edouard Tivoly ». A deux pas, jouxtant notre caveau, Grand-père se recueillait également sur le monumental caveau d’OSIRIS couronné d’un Moise en bronze grandeur nature, copie du Moise de Michel-Ange , œuvre de Mercié. On peut lire au dos de ce monument extraordinaire l’épopée Napoléonienne de Daniel IFFLA Grand-père d’OSIRIS, gravée dans le marbre avec ses exploits au siège de Toulon, un acte héroïque en Maurienne la Campagne d’Italie ……
Aux pieds de Moïse était gravée la mention « Au plus grand Législateur » qui me plongeait dans un abîme de réflexions. J’arrivais d’Egypte. OSIRIS, MOISE tintaient dans ma tête, j’avais l’impression d’un mystérieux rendez-vous mythologique et d’un message biblique. Pourquoi, ici à Montmartre près du vieux caveau familial ? Les Dieux ne m’envoyaient-ils pas un message d’outre-tombe ? Bref tout ce que l’imagination débordante d’un adolescent devenu sensible à l’histoire et à ses origines peut inventer.
Je harcelais Grand-père de questions mais il distillait les réponses sans doute pour laisser intacte ma passion naissante et toute sa place à cette imagination débordante qui m’animait.
J’ai pu ainsi petit à petit, et tout au long de ma vie reconstituer le puzzle qui unit ces 2 familles et en particulier 2 garçons : Osiris et Edouard Aaron. Tout commença à Bordeaux au 18ème siècle.
A BORDEAUX
Il faut remonter à Bordeaux et au 18ème siècle pour trouver le lien entre Tivoly et Osiris :
Natives de Bordeaux les deux familles vivent dans la rue Veyrine, puis rue des Augustins ou rue Bouhaut dans le quartier Juif de la ville dans le respect des traditions Juives Portugaises . En effet la ville de Bordeaux a abrité les Juifs Portugais, d’abord chassés d’Espagne en 1492 puis du Portugal en 1496/97. Au 18ème siècle on dénombre plus de 3 000 Juifs ou « Nouveaux marchands » rassemblés dans la « Nation Juive de Bordeaux » . Ils contribuent à plus de 30% du négoce de la ville. On compte enfin dans cette communauté quelques 70 Juifs Italiens venus à la fin du 18ème siècle.
Quand les Rois de France récupérèrent Bordeaux aux Anglais après la guerre de Cent Ans, ils souhaitèrent développer le commerce de la ville . Ils firent appel aux Juifs, réputés pour leur sens du commerce et des affaires. Cette communauté bénéficiât de lettres Patentes lui garantissant sécurité et liberté à condition d’observer pour la forme les rites chrétiens : à la naissance, au mariage et au décès. Ces lettres Patentes furent constamment renouvelées sous l’ancien Régime .
La famille IFFLA était d’origine Marocaine. Le jeune Daniel IFFLA, le grand père d’Osiris est employé à la « boucherie de la NATION Juive de Bordeaux ». A la même époque en 1786, un jeune Livournais David Haim TIVOLI quitte Livourne pour Bordeaux, se marie à la synagogue avec Esther Carrion dont le père est « fermier de la Boucherie de la Nation Juive de Bordeaux » – Sans aucun doute les deux jeunes gens qui se connurent « à la boucherie » adhèrent a l’esprit républicain. L’idéal de liberté et d’égalité rencontre un accueil profond de la part des Juifs Bordelais devenus citoyens français dès 1790. Ils s’engagent dans le Bataillon de Gironde, participent aux campagnes de Bonaparte : siège de Toulon, campagne d’Italie etc. De là est née une amitié.
Deux générations plus tard naissent à Bordeaux en 1824 Daniel IFFLA dit OSIRIS et Edouard Aaron Tivoly (cette fois ci avec un Y en place du I jugé trop « italien »)
OSIRIS et les Tivoly sont proches et de condition modeste. OSIRIS passe une partie de sa jeunesse à Paris. Il doit son nom « Osiris » à la venue d’un bateau du même nom qui aurait fait escale dans le port de la ville le jour de sa naissance.
Lors de la grande migration des banquiers Juifs Bordelais vers Paris au 19ème siècle le grand banquier et financier Mirès s’intéressa à ces joyeux drilles pleins d’ardeur, joueurs et au cœur généreux et les employa dans sa Banque.
Après avoir travaillé dans les Ateliers Nationaux et exercé de petits travaux OSIRIS devint un magnat des finances évoluant d’abord avec la Banque Mirès puis fonda sa Banque. Il fit appel aux Tivoly et c’est ainsi que les 4 frères Tivoly quittèrent Bordeaux et s’établirent à Paris dans les années 1850. Mon trisaïeul Edouard Aaron fut engagé en tant que Secrétaire particulier d’OSIRIS : On se retrouvait entre Bordelais. Le plus jeune des frères Tivoly Eugène Benjamin épousa même une IFFLA. Esther Ida.
Les quatre frères Tivoly s’enrichirent rapidement, et la tradition familiale qui m’a été rapportée indique que tout ce petit monde Séfarade «était joueur, gagnait beaucoup d’argent en spéculant et menait grand train avec une villa à Auteuil qui servait à recevoir « les demies-mondaines prisées de l’époque ». Mais cette vie de munificence était dominée par le plus grand des spéculateurs : OSIRIS d’où sa fortune colossale dont on n’a jamais pu déterminer l’origine – Il est vrai qu’à l’époque les règles boursières devaient être très souples quoique à n’envier en rien celles qui de nos jours, très compliquées, permirent aux Subprime de prospérer et à entrainer le monde vers le chaos.
Les frères Tivoly se retirèrent assez jeunes des affaires et vécurent largement de leurs rentes. J’ai toujours entendu dire autour de moi que le jeu et la spéculation boursière avait été un levier important de la réussite de ces Séfarades Bordelais. Le Financier Mirès, lui-même mécène à ses heures fut poursuivi et dut quitter la France pendant quelques années à la suite de quelques opérations malencontreuses.
OSIRIS fut sans doute le plus habile de tous et nul n’a jamais su comment il avait amassé une si grande fortune, qu’il distribua généreusement il faut bien le souligner.
J’ai toujours entendu dire autour de moi que le « clan Bordelais » menait grand train et jouait beaucoup.
Cette passion du jeu je peux l’illustrer par la vie extravagante de mon bisaïeul Alfred Benjamin Tivoly, fils d’Edouard Aaron, bookmaker de profession. Il ne vécut que du jeu.
Mon grand-père m’expliquait que dans les semaines de « veine » on venait le chercher au collège où il était pensionnaire, en calèche avec cocher et domestique, mais les semaines « sans » son père venait le chercher à pied.
Pendant des années je croyais être seul en France à célébrer la mémoire d’OSIRIS, et à me recueillir une à deux fois par an, souvent avec mes fils sur son caveau. OSIRIS le plus grand donateur du 19ème siècle était tombé dans les limbes de l’oubli et de l’ingratitude : donation de 35 millions de Francs-or à l’Institut Pasteur (soit plus d’un milliard d’Euros), achat de la Malmaison, (ancienne résidence de Joséphine de Beauharnais), relèvement de la Malmaison de ses ruines, puis donation à l’Etat Français, constructions et financement de nombreuses synagogues, statues, en France, en Europe et en Afrique. Achat d’un domaine en Sauternes 1er grand crû classé « le Château la Tour Blanche, » dont il fit don à une école d’œnologie .
Alors que j’étais persuadé faussement être une espèce de dernier des Mohicans à cultiver la mémoire d’OSIRIS quelques lueurs d’ espoirs me parvinrent. Il y a quelques années un ami de ma famille Raymond Huppert membre du Souvenir Napoléonien me demanda d’apporter un témoignage à l’occasion d’un projet de cérémonie. Malheureusement il mourut avant que son projet n’aboutisse. Puis plus récemment lorsqu’une de mes relations connaissant mon attachement à cette histoire familiale, m’informa avoir vu sur Internet la parution d’un ouvrage sur OSIRIS écrit par un universitaire Dominique Jarrassé, portant le titre OSIRIS mécène Juif – Nationaliste Français. Et très récemment, à la suite d’un échange de courrier l Ecole d’œnologie m’assure avoir toujours à cœur d’honorer et de respecter la mémoire d’OSIRIS dont l’âme est très présente à La Tour Blanche.
Enfin le grand homme sortait de l’oubli.
…..
Depuis de nombreux témoignages indiquant que la mémoire d’Osiris n’était pas morte me parviennent . Tout cela me réconforte .
En conclusion : j’ai personnellement retenu de cette « histoire romantique » les traits qui caractérisent ces Juifs Bordelais séfarades
l’atypisme
l’extravagance
la générosité
la munificence
l’originalité
la passion
l’impatience
l’exigence
la ténacité.
Je retiens également cette tranche d’histoire où le Judaïsme prospéra remarquablement en France de la Révolution jusqu’au 20 ème siècle –
Je serai comblé si j’ai réussi par cette histoire « familiale » sans prétention à intéresser les lecteurs de la Voix des Sépharades. En ce qui me concerne je suis heureux et content d’avoir porté toute ma vie cette histoire romantique témoignage d’une tranche de vie qui couvre deux siècles d’histoire, longtemps oubliée, mais aujourd’hui ressuscitée,.
Jamy Tivoly
Note-Extrait d’un Mécène Juif - Nationaliste français –
Portrait d’un inconnu – Dominique Jarrassé Editions Esthétiques du Divers
Cf « Le Registre des Délibérations de la Nation Juive Portugaise de Bordeaux 1711/1787
Fundacio Calouste Gulbenkian
Centro Cultural Portugues
PARIS 1981
Osiris : Mécène juif, Nationaliste français
Dominique jarRasse
Editions Esthétique du Divers 2008 Ma Bibliothèque
Disponible sur Internet : www.esthetiques-du-divers.com
Jamy Tivoly
La Comterie, Tours en Savoie France
4 Avril 2009